C’est peut-être là l’une des raisons principales du succès des « bobos ». En un seul mot, il devient possible de parler de populations qui n’entrent dans aucune catégorie statistique mais partagent des comportements : vivre dans les quartiers anciennement populaires, voter plutôt à gauche, avoir un souci de l’écologie, des goûts vestimentaires et culinaires néohippie et proches du terroir.
Mais, derrière ce mode de vie qualifié de « bobo », ce sont des populations très différentes qui sont concernées : des cadres et professions intellectuelles supérieures certes, mais aussi des intellectuels précaires, des intermittents de l’emploi et des chômeurs en fin de droit ; des classes moyennes précarisées chassées des centres-ville par les hausse des loyers ; un électorat pluriel allant de la sensibilité social-démocrate à l’extrême gauche, et même l’abstentionnisme. Le problème, c’est donc que « bobo », ça ne veut rien dire. Ou plus exactement, qu’il y a un monde entre le sens, politique, que lui accorde Christophe Guilluy et la perception qu’en garde le sens commun, plutôt péjorative, en tout cas moqueuse, d’une population assimilée à la « gauche caviar » et aux privilèges.
Ceci n’aurait aucune importance si l’hypervisibilisation de la catégorie ne jouait pas comme un masque. Pendant que le terme de « bobo » est utilisé pour railler les contradictions des bénéficiaires du « nouvel esprit du capitalisme » - sans doute réelles chez certains mais tellement minoritaires -, les pages sociales des journaux perdent de vue l’apparition massive de phénomènes à l’œuvre à l’intérieur de cette catégorie fourre-tout : précarisation croissante des professions intellectuelles et, plus généralement, appauvrissement général des classes moyennes. Au-delà, le glissement qui s’est opéré entre le « bobo » à l’américaine et le « bobo » à la française et la connotation très péjorative du terme dans le langage courant (qui explique en partie que personne ne veuille s’y reconnaître) participent à un usage conservateur qui disqualifie d’emblée toute une série de velléités (écologiques, sociales, etc.) immédiatement considérées comme naïves, un peu affectées et de mauvaise foi.
via blog.bafouillages.net
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