C’est bien à des sortes de funérailles auxquelles j’ai assisté ce
vendredi après-midi. La pâtisserie Meîer, vénérable établissement installé à la
gare depuis si longtemps, était à vendre. Certes, les précédents tenanciers,
assez Thénardier dans l’âme avec leur petit personnel, avaient déjà défiguré la
façade en installant devant un abominable comptoir à fourguer des sandwichs à
emporter aux passants pressés d’aller prendre leur train. Mais il restait tout
l’intérieur, avec son fabuleux décor des années 30. Le pas de porte fut vendu avant
l’été et le nouveau propriétaire, plutôt que de tenter de garder dans son jus
cette boutique comme on n’en voit plus guère dans notre petite cité, a préféré tout
vendre aux enchères. Quand je dis tout, c’est tout, les miroirs années 30 Arts
Déco, les marbres des murs, les comptoirs, les appliques… Pour céder la place à
une saladerie au « concept italien » !
Quand je pénétrais à 15 heures dans la boutique pour l’adjudication, j’y
entrais le cœur un peu serré mais avec l’espoir de pouvoir acheter un petit
souvenir, une petite madeleine de ce lieu que je connaissais depuis mon
enfance. Il y avait là une cinquantaine de personnes. J’en connaissais la
moitié, Rouennais comme moi, écoeurés et navrés de ce qui allait se commettre
mais venus pour les mêmes raisons. Un dernier coup d’œil, un ultime adieu à ce
qui n’existerait plus. Et nous nous présentions mutuellement nos condoléances
de la perte de ce petit bijou qui bientôt laissera place à un machin violet et
gris agrémenté de faux lustres baroques et de tables couleur wengé. Il paraît
même qu’il y a un architecte d’intérieur qui a travaillé sur le futur
aménagement. Ce plouc a donc choisi de faire disparaître l’existant. Si jamais
je connais son identité, comptez sur moi pour lui faire de la pub…
Les premiers lots soumis aux enchères étaient des petits bibelots, petites
babioles, que nous nous sommes disputés pour des sommes modiques. J’achetais
ainsi une bonbonnière un peu ébréchée mais charmante avec son joli couvercle.
Ainsi qu’une boîte en plastique sur laquelle on peut voir les armes de la Ville,
celle de la Normandie, la cathédrale toute petite en doré et MEIER ROUEN écrits
en croix.
Patrice Quéréel inside ma boîte à souvenirs
Puis les choses sérieuses arrivèrent. A ce moment là, les collaborateurs
du commissaire priseur se mirent à appeler des acheteurs lointains et les Rouennais
découvrirent que les personnes qu’ils ne connaissaient pas étaient tous des
marchands. L’ensemble du décor fut vendu par moitié. 21 500 Euros pour l’avant
de la boutique, à savoir, les miroirs à frise géométrique des années 30, les
miroirs à décor sur la pâtisserie des années 50, les marbres des murs, le reste
des miroirs, l’ensemble des étagères de verre des vitrines et le cache
radiateur. A peu près autant pour le décor du fond. Et 24 000 Euros pour
le lot de douze appliques.
RIP Meïer donc. Ce soir j’ai la haine des gougnafiers et des lieux
aseptisés.
le genre de choses qui fait en effet mal au coeur. Mais que faire ? C'est une propriété privée. Il aurait fallu que votre maire classe la boutique aux monuments historiques afin de contraindre un repreneur à en respecter la déco. Une procédure longue et difficile, j'imagine.
Rédigé par : Lheretique | 10 septembre 2010 à 23:03
@ L'Hérétique En effet, seule une inscription à l'inventaire aurait permis de sauver l'ensemble. J'ai croisé hier plusieurs membres d'une association de sauvegarde du patrimoine, très active à Rouen. Ils étaient tous fort marris, d'autant plus qu'ils avaient réussi à faire protéger le bar d'à côté, lui aussi dans son jus des années 30, qui en plus s'enorgueillit d'avoir été le lieu de rencontre de JP Sartre et Simone de Beauvoir avant guerre quand ils étaient tous deux enseignants, l'une à Rouen, l'autre au Havre.
Il faut dire aussi qu'aujourd'hui, les services de l'Etat sont de plus en plus frileux pour accepter de nouvelles inscriptions car le processus peut déclencher ensuite des demandes de subvention et ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, l'Etat français est impécunieux.
Rédigé par : Laure Leforestier | 11 septembre 2010 à 08:55