La première fois que j’ai vu Joël Hubaut, c’était au début
des années 70 à la galerie de l’Estuaire à Honfleur. Galerie qui n’avait rien à
voir avec les épiceries croûtesques qui ont petit à petit remplacé les
charcuteries, merceries, boulangeries et autres petits commerces du Vieux Bassin
et alentours. A cette période reculée, Joël exposait une série de toiles
représentant des accidents de voiture, dans un style très hyperréaliste, le
tout inspiré par Crash.
Des liens d’amitié se sont tissés entre la famille
de Joël et la mienne, et c’est ainsi que dans les années qui suivirent, j’ai
passé plusieurs périodes de vacances en compagnie de cet artiste inclassable,
hénaurme et déroutant. Pour l’adolescente avide du monde que j’étais, il fut un
sacré mentor qui me guidait vers des territoires que je découvrais avec
voracité : Zappa, Duchamp, Kerouac, Ginsberg, Burroughs… Il m’a transmis
de manière indélébile une certaine exigence face à la création artistique et
une révolte certaine face aux marchands de soupe de tous poils.
Aussi j’ai eu grand plaisir à aller le voir vendredi
dernier, lors de son vernissage à la
galerie Mam. Passée la joie des retrouvailles, je l’entends avec bonheur
éructer contre ces putains de politique culturelles, ce monstrueux festival
impressionniste qui s’annonce… Il s’indigne, à juste titre, que Rouen ne se
reconnaisse pas plus en Marcel Duchamp, parce que cette ville lui évoque deux
choses : Duchamp et Sordide
Sentimental, label indépendant créé à Rouen en 1978 et qu’apparemment, même
la cour de jeunes étudiants des Bozarts qui gravite autour de lui, semble
ignorer.
C’est compliqué de raconter tout le travail de Joël
qui se définit lui-même comme un « grossiste en art », installation manœuvre peinture sculpture
vidéo performance musique poésie sonore et visuelle fiction essais édition etc.
Un petit tour sur son myspace
pourra peut-être vous aider à percevoir les multiples facettes de son talent
créatif, épidémique et métis. Et quelques extraits de ce texte écrit par Michel
Giroud en 2001, sur Joël Hubaut,
l'excentrique :
Depuis les
années 70, depuis la découverte des signes épidémiques, Hubaut le gothique
populaire, s'auto-engendre, augmentatif, concentrique, dans toutes les
directions, les pales de plus en plus larges, les rotors plus rapides et bien
plus denses (dance). C’est une machine à broyer. La marque HUBAUT, c'est une
pelleteuse, un bulldozer, un panzer, une moissonneuse-batteuse, une botteleuse
à propulsion comique, une théorie de moulins moulinants d'un cargo monstrueux,
un tanker de matériaux bruts, un pousseur, une Armada de remorques (…)
Faire tourner les têtes et briser les
cloisons, abattre les tabous solidement constitués, institués depuis des
siècles, entre le savant et le populaire, entre le vieux et le neuf, entre le
pur et l'impur, entre le minimum et le maximum, entre l'expressionnisme et le
constructivisme entre l'image et sa destruction, entre la faux jour de la
raison et le fausse nuit de l'imagination, entre la sagesse de la folie et la
folie de la sagesse, entre l'utopie et le réel, et cetera, ra, ra. (…)
Hubaut nous
livre les pages roses d'un livre indéfini que nous devons continuer à
construire à partir de son propre chaos en expansion qu'il active depuis son
enfance. C'est un projet titanesque et comique, c'est un ensemble de secousses
hétéroclites où tout se chevauche pêle-mêle, c'est un refus global de cette vie
compartimentée sans aucun piment, cette vie d'esclaves plus ou moins assouvis
et assoupis ou pire endormis à l'opium du travail et du rendement absurde.
Hubaut, c'est une parole, sous ses formes diversement plastiques, une des voix
possibles de l'insoumission généralisée contre tous les diktats, les mots
d'ordre, les slogans, les modèles en tous genres, un immense cri vivant, chaleureux,
un feu d'artifices illuminant la nuit noire de nos sombres bêtises; Hubaut,
c'est une des formes diverses du soulèvement des individus opposés à toute
forme de formatage; c'est une tornade capable de briser les idées creuses,
c'est un balai magique qui met en branle toutes les danses folingues de tous
les danseurs inconnus. (…)
Tout
s'entrecroise dans ses machineries mais il a vraiment élaboré un territoire
propre, en gestation permanente, non réductible, mais qui rend possible l'autre
et l'échange. Hubaut n'est pas assimilable; il est quasiment le seul à
construire des situations paradoxales qui gênent l'institution artistique et
cuktureuse (pas assez ceci, trop cela, non conforme pour représenter la France
à Venise: en effet, il faudrait une sacrée dose de courage pour inviter un vivant
si vivace). Poète épidémique plasticien plastiqueur et saboteur de préjugés,
chanteur méconnu de la rage de vivre; pas assez malléable, pas encore muséable
(il aimerait bien enlever les muselières des musées). Encore vivant, encore
charabiesque. Hubaut : un immense HIATUS dans le système académique. (…)
Et puisque l’on parle de musées, voici une œuvre de Joël, exposée au FRAC de Basse-Normandie
On the Beach. Joël Hubaut. Centre d'Art Contemporain .
Basse-Normandie. Hérouville St. Clair. 2007.
Cela m’évoque une version moderne du Déjeuner sur l’herbe, dont je vous propose, actualité politique locale oblige, une version toute rouennaise, habilement détournée par Le Major :
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