Bonsoir Manu, bonsoir Malik, bonsoir à vous toutes et tous, auditrices et auditeurs d’HDR. Pour notre 3e rendez-vous sur l’antenne du Tchatcho dans la chronique du Speedball, dédiée aux accrocs de la politique et d’internet, j’avais envisagé dans un premier temps de vous parler de la menace terroriste puisqu’il en est beaucoup question dans l’actualité ces jours-ci et que même mon journal local m’interpellait hier dans les rues de Rouen avec cette affichette titrant : « Normandie, menace terroriste, les zones sensibles ». Beaucoup d’effets de manche pour nous apprendre que chez nous, les zones à risque d’attentats sont les zones Seveso.
Mais une bonne nouvelle est tombée hier soir, et aujourd’hui je n’ai pas envie de bouder mon plaisir. Dans un communiqué de presse, Uralchem annonce l’abandon du projet de construction d’une usine de transformation des granulés d’engrais, sur le port de commerce de Dieppe. Mais c’est quoi ça Uralchem et c’était quoi ce projet allez-vous me demander… Ural pour la région russe du même nom et chem non pas pour méchant mais pour chemical autrement dit en bon français pour chimie. Cette société russe projetait de s’implanter sur une friche portuaire de Dieppe pour y installer une unité de production d’engrais chimiques. Projet ardemment soutenu par le maire communiste de Dieppe, Sébastien Jumel, mais unanimement décrié par l’ensemble des autres formations politiques ainsi que par une association citoyenne Uralchem non merci ! Je leur laisse la parole : Vous avez aimé AZF à Toulouse ? Vous adorerez Uralchem à Dieppe! La mairie a pratiquement vendu un terrain de 23 000m2 en plein centre-ville à la société russe Uralchem, filiale de Gazprom, qui fabrique des engrais à base de nitrate d'ammonium comme à AZF Toulouse ! Non seulement l'usine rejettera du nitrate dans la mer (algues vertes) et dans l'air (ça pue, c'est toxique), mais la peur vient des transports qui peuvent se transformer en bombe! Explications : l'engrais arrivera par bateaux russes dans un port à écluse, il y en aura à peu près 24 par an chargés de 8 000 tonnes d'engrais environ (AZT a explosé avec 40 tonnes!). La seule manière d'éviter la catastrophe quand un bateau de ce type est en feu c'est de l'éloigner en mer. A Dieppe il sera dans un bassin à écluse, même en feu il faudra attendre la marée haute pour sortir! Et s’il n’y a rien du côté des bateaux il y aura un trafic de 1 000 camions par mois, et les camions ça prend feu aussi! Et ça explose aussi! Et si ça explose Dieppe disparait…
Vous pensez que l’association
exagère ? C’est exact que si l’on va sur le
site officiel de la société russe, on pleurerait presque de bonheur à lire
toute cette belle sollicitude affichée devant les préoccupations
environnementales et sociales. On s’émerveille
déjà de cette jolie photo d’un tournesol jaune qui nous ferait quasiment prendre
l’entreprise pour une filiale des Verts… Ah ben non, en fait on apprend qu’Uralchem
Holding PLC est une société constituée à Chypre. Uralchem Groupe est le
deuxième plus grand producteur de nitrate d'ammonium dans le monde, numéro un
en Russie et deuxième producteur d'engrais azotés. Il est vrai que longtemps
Chypre a été un paradis fiscal pour les
capitaux russes mais j’y reviendrai… Je lis toujours sur le site officiel un
fabuleux article sur la responsabilité environnementale qui m’apprend, je cite,
que la compagnie fait très attention aux
questions de conservation et de protection de l'environnement ainsi qu’à la
sécurité écologique. Dans ce contexte, à partir de l'année 2008 en plus des
systèmes existants, l'entreprise se prépare à introduire des nouveaux
systèmes de gestion basés sur les bonnes pratiques dans le domaine de la
qualité et de l'écologie, telles que ISO 9000 et ISO 14001.
Hum, hum… Pendant la campagne des Régionales, la liste Europe Ecologie avait invité deux écologistes russes qui sont venus témoigner des « bonnes pratiques » d’Uralchem en Russie. Ils ont produit un rapport émanant de l’ONG à laquelle ils appartiennent, constatant plusieurs éléments inquiétants :
L’entreprise Uralchem investit dans des usines vétustes, sans les mettre aux normes, pour la production de produits pourtant dangereux et explosifs. Les employés ne sont pas équipés (ils manipulent à main nue les produits). Les accidents se multiplient entraînant des blessures graves et parfois la mort (ex. : le 5 mars 2009 dans l’usine Kirovo-Chepetsk, un mort et un blessé grave suite à une explosion). Par ailleurs, de nombreuses émanations toxiques mettant en danger la santé des employés sont à déplorer.
Installées sur des sites pollués de longue date (avec des déchets radioactifs notamment), les usines de l’entreprise Uralchem sont à l’origine de pollutions atmosphériques, pollutions des eaux (par des rejets directs dans les rivières) et des sols confirmées par une association environnementale, la NERA, reconnue et financée par la Banque mondiale. Ces pollutions sont même dénoncées par le Ministère de l’environnement russe qui déplore de ne pouvoir rien faire vis-à-vis de cette entreprise.
Pendant la campagne régionale, réunion d'information organisée sur les dangers d'Uralchem. De gauche à droite, Guillaume Grima, Claude Taleb, les deux écologistes russes Maxim Shingarkin et Roman Yushkov encadrent leur interprète.
La venue de ces militants écologistes russes avait d’ailleurs déclenché un excellent reportage de la part de TF1 au titre évocateur de l’usine qui fait peur.
Bon mais la France n’est pas la Russie et nous avons des organismes de contrôles sérieux pour vérifier que ce projet d’implantation ne nuirait pas à la sécurité. Eh bien, justement, nous avons là peut-être une première explication pour ce renoncement. En février dernier, le directeur d’Uralchem France, M. Thyebaut, informait de la saisine de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Haute Normandie, autrement appelée DREAL, quant à une demande d’autorisation d’implantation d’une usine de transformation d’engrais par l’entreprise Uralchem à Dieppe. Aujourd’hui, la préfecture confirme dans un communiqué que la Dreal n'a jamais reçu de dossier déposé par Uralchem. Est-ce à dire que nos normes environnementales sont trop contraignantes ? Je pose la question à tous ceux qui vivent près d’une raffinerie de pétrole…
En préparant mon papier ce matin, j’ai déniché un blog dieppois que je vous recommande et qui commente avec impertinence les dessous chics et chocs de la vie politique, sociale et mondaine, Pandora. Sa rédactrice se réjouit à sa manière, toujours caustique, de la nouvelle :
On n'aura pas les pipe-lines sous les maisons du quartier de l'avenue Vauban ? On ne contemplera pas les big bags pleins de merde amonitratée sur les quais ? Les algues vertes dans le bassin du port ? What else ? On ne connaîtra pas la voie ferrée, ou encore la noria de camions pour un remake du "Salaire de la Peur ? On ne connaîtra pas les joies des cuves exhalant une exotique odeur d'ammoniaque sur Neuville ?
Ben non, c’est dom-ma-ge…
Il y a encore un truc qui me titille quant aux explications sur ce renoncement. Toujours dans ma pêche aux infos pour préparer la rédaction de cette chronique, j’ai trouvé cette nouvelle toute fraîche en direct de Moscou et datée du 21 Septembre : Les amendements récemment adoptés à la convention russo-chypriote relative à la double imposition permettront de fermer le paradis fiscal de Chypre aux sociétés russes, a déclaré mardi aux journalistes le ministre russe des Finances Alexeï Koudrine. Afin d'optimiser leurs impôts, de nombreuses grandes compagnies russes se sont fait domicilier à Chypre. Les amendements à la convention fiscale russo-chypriote engagent les parties à s'aider mutuellement dans la perception des impôts.
Et le maire de Dieppe dans tout ça ? Il prend acte d'une décision qu'il regrette et il est impatient de voir arriver sur la table les projets alternatifs évoqués par les détracteurs du projet. Il veut parler des éoliennes et il ajoute A moins que ce ne soit du vent… C’est vrai que les communistes locaux préfèrent le nucléaire aux énergies renouvelables…
Vouloir à tout crin l'installation d'une entreprise basée dans un paradis fiscal, est-ce bien raisonnable pour un élu communiste ?
Photo tirée du site officiel de la mairie de Dieppe
Vous pouvez retrouver cette chronique ainsi que les liens vers les
sources que j’ai citées sur mon blog laureleforestier.com avec en prime des
bonus photos et vidéos. A mercredi prochain pour une nouvelle chronique et
d’ici là, gardez les yeux et les oreilles ouverts et n’oubliez pas que même si
Dieppe est débarrassée de son projet d’usine à nitrates, il reste encore un
projet de réacteur nucléaire dans les cartons à Penly.
Désolée, je n'ai pas trouvé de vidéo en VF à intégrer. Amis francophones, pour retrouver la version française, cliquez sur l'usine qui fait peur.
Commentaires