Bonsoir Manu, bonsoir Malik, bonsoir à vous toutes et tous, auditrices et auditeurs d’HDR. Voici donc la 6e chronique du Speedball, pour tous les accrocs de la politique et d’internet. Je ne vais pas vous parler de ce qui fait la une de vos journaux ce soir, mais d’un discret entrefilet aperçu dans la presse, une dépêche AFP, le suicide d’un adolescent de 17 ans à la prison de Bonne Nouvelle, retrouvé pendu dans sa cellule, dimanche dernier.
Bonne Nouvelle… Quel nom paradoxal pour cette maison d’arrêt rouennaise dont on ne parle en général que pour des actualités qui défrayent la chronique : suicides, meurtres, cannibalisme…
Comme je me soucie de votre bonne information, chers auditeurs, je vais vous révéler l’origine du nom de ce lieu sinistre par sa réputation. On raconte qu’en 1060 la reine Mathilde, celle de la tapisserie, l’épouse de Guillaume le Conquérant, fonde un prieuré à l’emplacement actuel de la maison d'arrêt de Rouen sur la rive gauche près du faubourg Saint-Sever. En apprenant le succès de l'expédition de la conquête de l’Angleterre en 1066 elle se serait écriée "Bonne nouvelle" et ce nom aurait été donné au prieuré. Ca se passait comme ça au Moyen Age, les ducs de Normandie, quand ils étaient contents, ils construisaient des couvents et des églises. Aujourd’hui, pour s’amuser, nos puissants créent des festivals. Question d’époque…
C’est sur l’emplacement de ce prieuré, que l’Etat construit une prison en 1860. Le but est de remplacer la vétuste prison de Bicêtre, ancien dépôt de mendicité de la métropole normande, afin d’aménager une nouvelle maison d’arrêt et de correction. La construction est imposante, "cent mille briques" selon l’un des surnoms de l’établissement, avec un mur d’enceinte de 740 mètres, cinq ailes sur trois niveaux rayonnant autour d’un point central. Les travaux sont achevés en 1865. L’hygiénisme, préside à l’organisation interne. Il bénéficiera de l’invention des douches Dès 1868, on aménage un quartier correctionnel pour les mineurs indisciplinés, fugueurs ou mutins des colonies pénitentiaires.
A l’époque de sa mise en service, il y a 150 ans, on pouvait sans doute considérer cette prison comme une grande avancée en matière de conditions de détention. Le hic, c’est qu’il ne s’est pas passé grand-chose depuis, si ce n’est qu’on y entasse beaucoup trop de détenus pour la jauge prévue de l’établissement. D’une capacité de 650 places, elle accueille aujourd’hui plus de 800 détenus. Trois personnes par cellule de 10 m2, pas de cloisonnement avec les toilettes dans la pièce où les détenus dorment et prennent leur repas, pas d’aération… Promiscuité, manque d‘intimité, autant de conditions indignes. Le résultat ? Je vous donne connaissance du rapport d’activités de 2007 : 4 détenus se sont pendus, 58 ont tenté de se suicider, 33 se sont automutilés, 28 ont fait une grève de la faim ou de la soif. On dénombre également 134 "faits de violences" entre détenus, 38 agressions sur gardiens, 170 placements en quartier disciplinaire...
En préparant ce billet, j’ai trouvé quelques témoignages d’anciens détenus sur des forums comme celui-ci : C’est une prison dégueulasse, même avec une petite peine, c’est des coups à se crocher, surtout en division 2. Je viens de sortir de cette prison qui nous prend pire que des chiens !
Certes, le cas de Bonne Nouvelle n’est pas un cas isolé même si l’endroit cumule les deux plaies du système carcéral français, la vétusté et la surpopulation. Le taux moyen de surpopulation dans les maisons d’arrêt françaises est de 140 %. Au total, environ deux tiers des établissements pénitentiaires sont en surpopulation, et 7 % d’entre eux atteignent une densité de 200 %, soit deux détenus pour une seule place. Le nombre de suicides en détention en France a atteint 115 personnes en 2009, soit trois tentatives de suicide par jour dans les prisons françaises et un suicide effectif tous les trois jours. Les prisons françaises sont les pires d’Europe et l’Etat a déjà été condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme chargée de faire respecter les dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour violation des articles 2 et 3 de cette convention.
Mais il y a encore plus fort ! C’est quand la justice française condamne l’Etat français. Et cela, on le doit à un avocat rouennais, Etienne Noël. Profondément choqué lorsqu’il découvre, lors d’une visite à l’un de ses clients, les conditions de détention à Bonne Nouvelle, Etienne Noël s’engage alors à l’Observatoire International des Prisons. Ses armes ? L’application du droit. Et c’est ainsi qu’en 2005, pour le compte d’un détenu de Rouen, il attaque l’administration pénitentiaire et l’Etat pour des conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité humaine. Une première en France. Trois ans plus tard, en mars 2008, le tribunal administratif de Rouen lui donne raison et condamne l’Etat à verser 3 000 euros de dommages et intérêts pour «préjudice moral» lié à des conditions matérielles de détention «dégradantes». Et le buzz démarre à Bonne Nouvelle. A l’automne 2008, trois autres détenus ont recours aux services de l’avocat pour les mêmes raisons. Nouvelle victoire. La boîte de Pandore est ouverte, au grand dam de l’Etat français qui voit s’accumuler les plaintes de détenus. Désormais c’est une explosion, à Bonne Nouvelle et partout ailleurs en France, les détenus portent plainte contre l’Etat.
L’Etat français a eu beau faire appel de cette première décision, il n’a pas gagné. Alors il y a eu cette bonne nouvelle au printemps dernier : Bonne Nouvelle allait fermer et une nouvelle prison ouvrirait ses portes d’ici 2015 dans l’agglomération rouennaise. Même si selon le ministère de la Justice, cette décision n’aurait rien à voir avec les jugements successifs qui ont déjà condamné l ’Etat à verser plusieurs dizaines de milliers d’Euros, je ne peux m’empêcher d’y voir là une victoire de notre avocat militant. Reste à vérifier que cette annonce de fermeture de Bonne Nouvelle sera effective, car nous sommes toujours dans l’attente d’un calendrier précis, où, quand, comment ? Et puis, oui à une nouvelle prison pour de meilleures conditions de détention respectant les règles d’hygiène et de salubrité mais aussi un lieu qui ne soit pas déshumanisé comme le déplore le contrôleur des prisons dans son dernier rapport.
Je laisse la parole à l’OIP :
En France, la prison n'est pas un lieu de droit et le détenu n'est plus un citoyen. Le prisonnier ne vote pas. Le prisonnier n'a pas le droit à la santé ni à la Sécurité sociale. Quand il a du travail, il ne bénéficie pas d'un salaire décent. Le prisonnier n'a pas droit au RMI, le minimum d'insertion, quand la prison prétend justement le réinsérer. Le prisonnier n'a pas droit d'association. Le prisonnier n'a pas droit à l'instruction ni à la formation. Ou de façon discrétionnaire. Le prisonnier n'a pas droit à l'intimité quand l'Etat s'affirme garant des liens familiaux, et il est arrivé qu'une femme détenue accouche menottes aux poignets avec présence policière dans la salle de travail.
Le prisonnier peut être longuement et redoutablement soumis à l'isolement. A la simple peine privative de liberté, la prison croit souvent devoir ajouter l'arbitraire, le mépris, la violence, l'humiliation.
Le prisonnier a droit à la censure de son courrier, à la " double peine " s'il est étranger (l'expulsion après l'exécution de sa peine). Il a droit à des peines accessoires, à l'interdiction de séjour, à la communication de son casier judiciaire en dehors des services judiciaires et de police. La prison coûte cher à la société pour un résultat affligeant : le détenu ne sort pas " libre ", le préjudice subi par la victime n'a pas été réparé. La prison enferme les plus pauvres, précipite leur exclusion. Elle ensevelit dans la souffrance là où il faudrait réparation. Pour réintégrer la communauté des hommes, plus que de confort, le prisonnier a besoin d'humanité.
Et je termine ce billet avec cette anecdote :
Il fut un temps où le répondeur de Bonne-Nouvelle jouait Hotel California, des Eagles. Etienne Noël en a traduit les paroles et les a publiées dans la Lettre du barreau : « Bienvenue à l’Hotel California/Un si bel endroit/Une si belle façade [...] Des miroirs au plafond [...] Du champagne rosé [...] Mais tu ne peux jamais partir... » Deux semaines plus tard, le Boléro de Ravel avait remplacé les Eagles.
Vous pouvez retrouver cette chronique ainsi que les liens vers les sources que j’ai citées sur mon blog laureleforestier.com avec en prime des bonus photos et vidéos. A mercredi prochain pour une nouvelle chronique et d’ici là, gardez les yeux et les oreilles ouverts et plus que jamais, restez libres !
A voir sur Arte : Pour Etienne Noël, avocat, les plaintes de détenus doivent susciter un débat global sur la prison: "Je voudrais que ça coûte tellement cher que ça rende un débat objectif indispensable et incontournable."
Un groupe Facebook : Pour la fermeture de la maison d'arrêt de Rouen, dite "Bonne Nouvelle"
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Rédigé par : Web Hosting | 05 décembre 2011 à 08:42