Bonsoir Djalil, bonsoir Malik, bonsoir Mansour, bonsoir à vous toutes et tous, auditrices et auditeurs d’HDR. Pour cette 11e chronique du Speedball, dédiée aux accrocs de la politique et d’internet, je vous invite à passer à table.
Et passer à table ne veut pas dire passer aux aveux même si jusqu’à hier soir je prévoyais d’écrire cette chronique sur la garde à vue… Non, je vais vous parler de gastronomie puisque depuis hier, les experts de l’Unesco ont estimé que le repas gastronomique à la française, avec ses rituels et sa présentation, remplissait les conditions pour rejoindre la “liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité”.
Cette notion de patrimoine immatériel a été établie dans un premier temps par l’Unesco pour rééquilibrer l’obtention du label. En effet, si l’on regarde l’ensemble des lieux, sites ou monuments qui bénéficient de l’appellation patrimoine mondial de l’humanité, on s’aperçoit que certains continents, à commencer par l’Afrique, sont les parents pauvres, les premiers servis étant les pays occidentaux. C’est initialement dans le but de réparer cette injustice que depuis 2008, le patrimoine culturel ne s’arrête plus seulement aux monuments et aux collections d’objets mais comprend également les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants. Je vous en donne la définition exacte : “les processus acquis par les peuples ainsi que les savoirs, les compétences et la créativité dont ils sont les héritiers et qu’ils développent, les produits qu’ils créent et les ressources, espaces et autres dimensions du cadre social et naturel nécessaires à leur durabilité ; ces processus inspirent aux communautés vivantes un sentiment de continuité par rapport aux générations qui les ont précédées et revêtent une importance cruciale pour l’identité culturelle ainsi que la sauvegarde de la diversité culturelle et de la créativité de l’humanité”.
En 2008, lors du salon de l’agriculture, le président de la République avait annoncé l’idée d’une candidature de la gastronomie française en ajoutant cette fanfaronnade qui nous valut immédiatement d’agacer encore un peu plus s’il était nécessaire le reste de la planète : “Nous avons la meilleure gastronomie du monde. » Ne vous étonnez pas après si l’on nous traite d’arrogants…
La France déposa donc en août 2009 auprès de l’Unesco un dossier de candidature visant à l’inscription de la gastronomie française sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. C'est la pratique sociale du grand repas français, et non la gastronomie française, qui est célébrée par l'Unesco. La candidature française note que ce repas "doit respecter un schéma bien arrêté : il commence par un apéritif et se termine par un digestif, avec entre les deux au moins quatre plats, à savoir une entrée, du poisson et/ou de la viande avec des légumes, du fromage et un dessert" sans oublier l’adéquation entre mets et vins d’une grande diversité et une présentation soignée. De fait, dans un des attendus de sa décision, le comité note que la gastronomie française relève d’une “pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes”.
Un repas de noces à Yport - Albert Fourié - Musée des Beaux-Arts de Rouen
Tout cela est fort sympathique mais j’avoue que je trouve ces critères d’appréciation un peu fumeux… Je ne crois pas que nous soyons le seul pays au monde où les habitants se retrouvent autour d’une bonne table pour célébrer un évènement. En creusant un peu le sujet, j’ai dégotté ce rapport passé au Sénat à l’été 2008 où je trouve des arguments qui me semblent parfois plus pertinents :
Les espaces de sociabilité sont divers : de l'intimité du cercle familial au repas d'affaire, en passant par le banquet, le repas à deux ou entre amis, « manger ensemble » est un rite social qui ponctue notre quotidien comme les moments festifs de la vie. Par ailleurs, une communication étroite s'est établie en France entre la « cuisine savante » de la Cour puis des grands chefs et les cuisines populaires, familiales ou de terroir. L'intérêt voire la passion que les Français portent ainsi à leur patrimoine gastronomique et à sa transmission s'exprime de façons multiples :
- la transmission orale et intime des « recettes de familles » ; j’ai la chance de détenir des recettes, couchées sur le papier avec l’écriture penchée et surannée du XIXe siècle, consignées par mon arrière grand mère qui était née dans les années 1860. La recette du gâteau au chocolat de grand-mère Longchampt est jalousement gardée par les femmes de la famille. J’ai effectivement appris les gestes de cuisine en regardant ma mère, gestes que j’ai ensuite enseignés à ma fille. Mais n’est-ce pas la même chose dans toutes les cultures du monde ?
- le nombre de ses bistrots, restaurants traditionnels, bourgeois ou « tendance », mais aussi de ses marchés, véritables lieux de vie et de rencontre dans les villes comme dans les villages ; même question sur les marchés, ne les trouve-ton pas partout sur le globe, chacun apportant son mélange savoureux d’odeurs et de couleurs ?
- la littérature « culinaire », quasiment aussi ancienne que la cuisine elle-même, a pris son essor en France où elle reste particulièrement foisonnante ; on ne compte plus les livres de tous ordres, qui sont de véritables succès d'édition (livres de recettes, secrets et recettes des grands chefs, émotions et souvenirs culinaires, monographies de produits, vins, desserts, cuisine régionale ou exotique...) ; ça c’est vrai ! Prenez ma mère, par exemple, aujourd’hui une très vieille dame qui ne jette rien. Elle possède toujours une des plus anciennes éditions du Je sais cuisiner de Ginette Mathiot, la bible de la cuisine française, succès d’édition depuis 1932 qui s’est vendu à plus de 6 millions d’exemplaires et se vend toujours. Et en cette période où nous approchons de Noël, allez donc faire un tour dans les librairies où l’édition culinaire prend au moins autant de place dans les rayons que la littérature…
- de multiples revues spécialisées ou des sites internet de partage de recettes se sont développés ces dernières années... D’ailleurs je n’achète plus de bouquins de cuisine. Quand je recherche une recette, je la trouve sur le net, déclinée à l’infini, agrémentée des commentaires des internautes qui apportent leurs variantes. Je dois le reconnaître, moi qui croyais détenir le summum du gâteau au chocolat avec la fameuse recette de la grand-mère Longchampt détenue dans le secret de nos arcanes familiales, j’ai découvert depuis sur La marmite de Cathy, le blog d’une vraie gourmande, le gâteau au chocolat à la crème de caramel au beurre salé. Rien que le titre vous fait saliver et la dégustation, c’est une tuerie !
Pour en revenir au patrimoine immatériel, il faut bien reconnaître que l’Unesco labellise à fond de puis 2008. Toujours pour la France, ont été également reconnus cette année comme patrimoine immatériel de l’humanité la dentelle au point d'Alençon et le compagnonnage. Pour avoir visité le musée de la dentelle à Alençon, je vous confirme que cette technique est complexe. La tradition normande doit sa singularité "au haut niveau de savoir-faire requis et au temps très long qu'il faut pour la produire (sept heures par centimètre carré)". Le compagnonnage lui, est un système de transmission des savoirs par le métier qui concerne près de 45.000 personnes en France dans les domaines des métiers de la pierre, du bois, du métal, du cuir et des textiles et les métiers de bouche."Son originalité tient à la synthèse de méthodes et procédés de transmission des savoirs extrêmement variés : itinérance éducative à l'échelle nationale voire internationale, rituels d'initiation, enseignement scolaire, apprentissage coutumier et technique", dixit la candidature française.
D’autres traditions françaises ont été acceptées depuis deux ans comme les chants corses, la tapisserie d'Aubusson, la technique du tracé dans la charpente française, le Maloya - musique, chant et danses propres à la Réunion - et les géants participant aux processions dans le Nord et le Sud-Est.
Cette année l’Unesco a aussi distingué entre autres, l’imprimerie chinoise à caractères mobiles en bois, la fauconnerie que l’on retrouve dans différents états arabes mais aussi au Maroc, en Belgique, en République de Corée ou en Mongolie. Si l’on reste dans le chapitre gastronomique, on trouve encore l’art du pain d’épices en Croatie du Nord ou la diète méditerranéenne en Espagne, Grèce, Italie et Maroc. Cette diète, contrairement à ce que son nom pourrait faire penser, est un ensemble de savoir-faire, connaissances, pratiques et traditions qui vont du paysage à la table, y compris les cultures, la récolte ou la moisson, la pêche, la conservation, la transformation, la préparation et, en particulier, la consommation d’aliments. La diète méditerranéenne se caractérise par un modèle nutritionnel qui est demeuré constant dans le temps et l’espace et dont les principaux ingrédients sont l’huile d’olive, les céréales, les fruits et légumes frais ou séchés, une proportion limitée de poisson, produits laitiers et viande, et de nombreux condiments et épices, le tout accompagné de vin ou d’infusions, toujours dans le respect des croyances de chaque communauté. Mais la diète (du grec diaita ou mode de vie) méditerranéenne recouvre beaucoup plus que la seule nourriture. Elle favorise les contacts sociaux, les repas collectifs étant la clé de voûte des coutumes sociales et des événements festifs. En lisant cela, j’ai du mal à cerner l’originalité de la gastronomie française.
Alors, si je me réjouis de voir distinguer la gastronomie comme élément de notre identité culturelle, je ne peux m’empêcher d’éprouver un certain malaise en consultant l’ensemble de la liste du patrimoine immatériel qui, je le rappelle, avait été conçue dans un premier temps, pour opérer un rééquilibrage. Aucun pays d’Afrique sub-saharienne ne bénéficie du label cette année. J’en viens à me poser cette question : et si, pour l’obtenir ce fameux label qui parait-il est source de revenus touristiques à la clé, il ne valait pas mieux être puissant et influent dans le concert des nations ?
Vous pouvez retrouver cette chronique ainsi que les liens vers les sources que j’ai citées sur mon blog laureleforestier.com. A mercredi prochain pour une nouvelle chronique et d’ici là, gardez les yeux et les oreilles ouverts et n’abusez pas du beaujolais nouveau !
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