Ci-dessous, mon intervention en séance plénière du Conseil Régional Haute-Normandie de ce jour concernant le budget de la Culture.
Monsieur le Président, cher(e)s collègues,
Le budget de la culture que nous allons voter aujourd’hui, amène de la part du groupe Europe Ecologie Les Verts quelques remarques.
Tout d’abord une satisfaction, celle de voir maintenus à niveau constant, les efforts de la Région en matière de développement culturel. Cependant, tout en reconnaissant qu’au cours des dernières années, le budget en faveur de la culture a connu une augmentation significative, force est de constater que ce traitement n’a pas été appliqué de manière vraiment égalitaire. Le grand gagnant étant l’EPCC Opéra de Rouen qui a bénéficié sur les trois dernières années d’une augmentation qui a plus que doublé entre 2008 et 2010, la dotation qui lui était allouée, passant d’un peu plus de 2 900 000 à 6 000 0000 d’euros. Autrement dit, aujourd’hui, au sein d’un budget de fonctionnement de 16 millions, le seul budget de l’Opéra représente près de 38 % des aides allouées à l’ensemble de la politique culturelle ! Dans le même laps de temps, l’aide au spectacle vivant professionnel a progressé de 10 % et l’aide aux territoires n’a pas bougé.
Face à ce constat, nous demandons une nécessaire réflexion sur l’orientation à venir des politiques culturelles de la Région et nous plaidons pour plus de diversité culturelle.
Personne ne conteste la qualité des productions de l’EPCC Opéra de Rouen. Toutefois, malgré des efforts méritoires à l’attention notamment des publics empêchés, la fréquentation des spectacles lyriques et symphoniques ne représente qu’une infime part des pratiques culturelles des publics. L’art revêt différentes formes qui se sont toujours construites dans une relation dynamique entre sociétés et territoires. En France, l’héritage des politiques culturelles donne le plus souvent lieu à une vision de la culture restreinte au champ des arts et des lettres. Une vision de la culture étendue au-delà de la culture savante trouve difficilement sa place dans ce modèle. C’est le cas dans la majorité des collectivités françaises aujourd’hui, comme notre Région, où le substrat de la politique culturelle est donc constitué des équipements culturels et des festivals. Cela illustre la place très importante qu’occupent toujours les objectifs de démocratisation de la culture dans les politiques culturelles des collectivités, tels qu’ils ont été énoncés par Malraux.
Or, les caractéristiques sociologiques de la population française ont considérablement évolué depuis les années 60. Cette vision de la démocratisation se fondait à une époque où la culture était relativement homogène et où les gens n’avaient pas de doute sur la question d’une culture française héritée. Une richesse que les envies de justice sociale menaient naturellement à souhaiter un juste accès à cette richesse, et pour le plus grand nombre. Un demi-siècle plus tard, on se retrouve dans une société où il est certes primordial de donner de l’importance à l’assimilation de l’héritage “catégorie œuvres d’arts” mais où il est fondamental de prendre en compte la nouvelle répartition des acteurs de la production des signes qui a considérablement évolué depuis ces dernières décennies.
L’enquête menée tous les dix ans par le Ministère de la Culture le démontre. Depuis 40 ans, ce sont toujours les mêmes catégories sociales qui fréquentent les théâtres, salles de concerts, musées, bibliothèques. Celles qui bénéficient déjà dans leur contexte familial de cette ouverture au monde de la culture, la fréquentation par d’autres publics restant toujours à la marge.
C’est pourquoi nous proposons plutôt que la démocratisation, de placer la démocratie culturelle davantage au centre des problématiques. Cette réflexion autour d’un autre positionnement de l’intervention publique émerge depuis quelques années, au sein de quelques collectivités. Ainsi les départements du Nord ou de Seine Saint Denis ont entrepris une démarche de ce type par le biais d’un agenda 21 de la culture. Qui dit agenda 21 implique aussi de faire appel à la démocratie participative. C’est une démarche salutaire dans un secteur où en matière de décisions, il n’y a plus qu’un face-à-face entre des professionnels et la sphère politique, les habitants ont été évacués du dialogue. La démocratie participative représente ainsi une part de la méthode pour re-légitimer l’action publique en la matière, et incarner les politiques. Cette étape nous apparaît en tout cas absolument nécessaire avant d’envisager d’engager la Région dans un futur investissement tel un nouvel opéra sur les quais de Rouen. Nous nous inquiétons des dérives budgétaires qu’un nouvel établissement pourrait entraîner et sommes très sceptiques quant aux supposées économies d’échelle que pourrait représenter ce nouvel investissement. Nous considérons également que la pertinence d’un tel projet ne peut s’évaluer à l’aune d’une simple étude et demandons une large concertation via la démocratie participative.
Plutôt que de s’engager dans un super investissement, nous plaidons pour que dans les années à venir la réflexion au sein de notre collectivité s’oriente vers un rééquilibrage des subventions en faveur des petites et moyennes structures. Ce rééquilibrage peut se faire progressivement et sans préjudice pour qui que ce soit. Actuellement, la comparaison est insoutenable et les financements sans communes mesures entre les indépendants et les institutions. Il ne s’agit pas de déshabiller Paul pour rhabiller Jacques, mais bien de porter le subventionnement des structures culturelles indépendantes au niveau du secteur institutionnel. Le développement des pratiques artistiques est un enjeu sociétal dont le tiers secteur porte le dynamisme. Il peut être le vecteur d’autres modèles du vivre ensemble (durables, démocratiques, solidaires) à contre-courant du tout marchand, du tout profit que l’on observe dans certaines industries culturelles ou dans la conception libérale de l’économie en général.
Plutôt qu’un lieu unique, nous incitons la Région à soutenir et à favoriser la création de lieux culturels de proximité par un aménagement et un financement adéquats de petits lieux partout sur le territoire. Une politique d’aménagement du territoire concertée avec les artistes et les populations pour simplifier et amplifier l’implantation d’artistes dans tous les secteurs urbains (quartiers, villes, agglomérations, départements, etc.) et ruraux (villages, communautés d’agglomérations, etc.).
Nous ne saurons jamais où l’art, son jaillissement voudra bien voir le jour. Dans un champ, sur la toile d’Internet, au bout de la rue, sur un mur, sur un plateau, sur un coin de table ? Qui peut prétendre le savoir ? Ce serait des plus suspects. La seule chose dont nous pouvons être certains c’est que ce jaillissement ne peut advenir que dans l’ordre de la stimulation, du dynamisme et de l’effervescence. Soutenons donc les lieux culturels de proximité comme les nouveaux territoires de l’art à venir ! Car ces lieux et leur multiplication traduisent une réalité nouvelle de la pratique artistique et du mode d’échange avec le citoyen.
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