Horreur et désolation s’abattent sur la ville et l’agglomération dans la nuit du 18 au 19 avril 1944, les bombardements massifs des alliés font près d’un millier de victimes. Tout le centre de Rouen est touché, la liste ci-jointe est impressionnante :
Rive droite : les rues de Crosne, de Florence, des Béguines, Cauchoise, de Fontenelle, du Vieux Palais, Samuel Bochard, Saint-Eloi, des Charettes, du Petit Prévost, Racine, Saint-Etienne des Tonneliers, du Fardeau, Camille Saint-Saëns, Nationale, aux Ours, du Petit Salut, Grand-Pont, Grosse-Horloge, des Vergetiers, des Cordeliers, Thouret, aux Juifs, du Bec, Eugène Boudin, Saint-Lô, Socrate, de la Poterne, des Ciseaux, des Fossés Louis VIII, Ganterie, de l’Ecureuil, Thiers, Bouvreuil, Faucon, Morand, Philippe-Auguste, du Donjon, Jeanne d’Arc, Verte, Descamps, du Clos-Thirel, des Carmes, Saint-Nicolas, Croix-de-fer, Saint-Romain, Eau-de-Robec, du Change, des Faulx, Louis-Ricard, de Joyeuse, Sainte-Marie, de la République; le passage d’Etancourt ; les places du Vieux-Marché, de la Pucelle, Saint-Eloi, Restout, des Carmes, de la Cathédrale ; le boulevard des Belges, la route de Neufchâtel ; le square Verdrel, le jardin de l’Hôtel de Ville ; les quais, l’île Lacroix, le pont provisoire (face à la rue du Bac).
Rive gauche : Les places Carnot et Lafayette ; les rues Saint-Sever, de Lessard, Valmont de Bomare, de Grammont, des Fossés Saint-Yves et encore bien d’autres…
C’est la mémoire de cette ville blessée, touchée en son cœur qui est évoquée dans le nom de cette place du 19 avril 44, située au-dessus de l’espace du Palais et du lycée Camille Saint-Saëns. Bien peu de rouennais connaissent le nom de cette place et l’histoire tragique qui lui est attachée.
En 2004, j’ai eu l’occasion d’y commémorer l’évènement. C’était au soir du 18 avril, une cérémonie à la mémoire des victimes des bombardements, au cœur même des quartiers dévastés par les bombes soixante ans plus tôt. La météo ce soir-là était particulièrement hostile, pluie et vent glacial, et parmi les rouennais qui y assistèrent, beaucoup d’entre eux avaient étés témoins de cette abomination. Emotion et recueillement lors de la lecture d’extraits de documents d’archives et de textes littéraires par Nicolas Ragu et Sophie Amaury entrecoupés par les accents de La Jeune F ille et la Mort de Franz Schubert interprétée par le quatuor Forum.
Cette soirée s'inscrivait dans le cadre de Rouen Mémoires 44, action collective et exploratoire dans la mémoire des rouennais dans la guerre. cela donnera lieu à un ouvrage édité par la Ville aux éditions Point de Vues. Je vous livre ici quelques courts extraits de ce que les témoins nous ont raconté de cette nuit-là :
"Il y a eu trois vagues, trois vagues de bombardiers. Les premières, c'était soi-disant la gare de triage de Sotteville, mais c'est tombé surtout sur l'agglomération. Puis la troisième vague est tombée sur la ville de Rouen." Michel, 18 ans.
"C'était la nuit. Et je me rappelle que j'ai pris ça pour un orage parce que ça faisait un bruit énorme et puis comme des éclairs. A un moment, je me suis levé, je venais d'avoir 16 ans, et je suis allé trouver mes parents, et non, ce n'était pas un orage mais des bombes... Nous sommes descendus dans la salle et on a attendu jusqu'à ce que ce soit passé. Ensuite, il y a un silence mortel après un bombardement, on n'entend plus rien, c'est d'un calme épouvantable... Et quelques minutes après, on commence à entendre les sirènes des ambulances, mais sur le moment il y a eu tellement de bruit que ça fait un contraste extraordinaire, ce calme-là. Et puis petit à petit, on a entendu des ambulances toute la nuit !" Jean, 16 ans.
"Après cette cohue, vous vous demandez si c'est vrai, il n'y a plus du tout de bombardements, mais vous entendez des bruits de toute sorte, les gens qui sortent de chez eux, ceux qui appellent, ceux qui crient... Ceux qui sont morts, ils ne crient plus mais on essaie de les sortir des décombres. Mes premiers morts, je les ai vus comme ça, étalés comme ça sous des couvertures..." Ginette, 17 ans
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