La flak en position
sur les bords de la Seine,
rive droite. Flak est l'abréviation d'un mot allemand : Fliegerabwehrkanone,
signifiant canon antiaérien. [1]
De 1941 au début de 1944,
l’agglomération rouennaise essuie une douzaine de bombardements alliés. Les
cibles sont souvent des usines ou les gares mais la population civile est aussi
touchée et l’on déplore des morts. Le pire est à venir au printemps 44.
Début mars 44, le comité
interallié définit une série de 37 triages en France comme objectifs pour les
bombardiers. On entre dans la préparation active du D-Day, il s’agit d’empêcher
les Allemands de se renforcer dans les jours qui précèdent et suivent le Débarquement.
Il faut donc rendre inopérants les principaux circuits d’acheminements, en
particulier les nœuds ferroviaires. La gare de triage de Sotteville-les-Rouen
entre bien évidemment dans ces cibles.
Vue de l’objectif du
raid du 19 avril 1944, encore intact : au centre, le triage de Sotteville
et les ateliers Budiccum. En haut, le viaduc d’Eauplet. Tout à fait en bas à
droite, on aperçoit l’atelier des Quatre-Mares – Photo Imperial War Museum
Les raids ont lieu la nuit,
assurant ainsi une certaine impunité aux avions. Des Mosquitos arrivent en
priorité sur la cible et larguent des Target Illuminators, appelés TI’s qui
doivent permettre d’identifier précisément la cible. Ils sont immédiatement
suivis de Lancasters éclaireurs, qui eux marquent l’objectif avec des TI’s dont
la couleur est définie par le plan d’attaque. Le Maître de Cérémonie* évalue,
qualifie la qualité du marquage et briefe les autres bombardiers en approche. Parmi
ceux-ci, les bombardiers « Backers-up », larguent, en plus de leur
cargaison de bombes, de nouveaux TI’s pour maintenir la cible continuellement
éclairée. Sur Sotteville-les-Rouen, dans la nuit du 18 au 19 avril 1944, ce
dispositif va être exactement respecté. Les équipages revendiqueront avoir
parfaitement visé les marqueurs TI’s. Malheureusement, un grand nombre de ces
marqueurs se trouveront mal positionnés, avant ou au-delà de l’objectif, sur des
zones habitées…
A partir de 22 heures le 18
avril, 280 appareils décollent d’Angleterre en direction de Rouen. Le Bomber
Command a découpé l’objectif du triage de Sotteville en deux cibles :
Un point sud, centré sur le
triage, situé entre la gare des voyageurs et le pont de Quatre-Mares. Ce point
devra être bombardé à partir de 0h20. Son « marquage » commence à
0h14, avec des TI’s verts, situés un peu trop à l’est. Le marquage par les TI’s
provoque deux explosions à 0h15 et 0h17, juste à proximité du point sud.
Ensuite, les marqueurs TI’s continuent de pleuvoir sur le triage, mais
également autour de façon plus dispersée : le sud de Sotteville,
Quatre-Mares, les champs « vers le sud » y compris l’hôpital
psychiatrique et enfin la rive est de la Seine, reçoivent des projectiles marqueurs. Les
fusées éclairantes sont observées, mais souvent trop au nord de la cible. Le
bombardement cible les TI’s bien positionnés grâce aux instructions du
« Maître de Cérémonie ». Les projectiles s’éparpillent déjà, mais la
plupart des bombes perdues tombent dans les champs ou sur les rives de la Seine.
Malheureusement, les quartiers sud de Sotteville, ainsi que Saint-Etienne-du-Rouvray font
tragiquement les frais de cette dispersion.
Un point nord, centré sur le
dépôt des locomotives. Ce point devra être bombardé à partir de 0h40. A Sotteville, la Mairie et
ses alentours, marqués par erreur sont immédiatement bombardés. Plus tard, en
voulant corriger le tir, de nombreux TI’s sont à nouveau mal placés, trop loin
après la cible. Ce n’est que vers la fin que les « Backers up »
réalisent un marquage correct. Plusieurs quartiers habités de Rouen sont ainsi
marqués ou éclairés par erreur : la gare d’Orléans, l’Ile Lacroix, les
quais rive droite, la place du Vieux marché, le Palais de Justice jusqu’à la
gare de la rue Verte ou les pentes du Mont Gargan. Le marquage par les TI’s sur
Sotteville est situé trop à l’ouest. Immédiatement après les marqueurs arrivent
les bombardiers qui pilonnent le cœur de la cité cheminote. Le « Maître de
Cérémonie » parvient peu à peu à recentrer les tirs sur le dépôt des
locomotives, mais le mal est fait. Ensuite, une vingtaine d’appareils frappent
Rouen centre par erreur déclenchant de nombreux incendies.
Carte des impacts de bombes. L’objectif initial est
encadré en bleu.
* Master of Ceremony : le
MC est un officier expérimenté qui survole la cible après le larguage des
marqueurs. Il confirme la justesse des marquages ou en corrige les éventuelles
imprécisions, puis informe les différentes vagues de bombardiers sur les
conditions d’exécution de leur mission. C’est lui qui choisit le groupe de TI’s
à bombarder, ce qu’il fera bien sur Sotteville sud, beaucoup plus difficilement
sur Sotteville nord.
[1] : Rouen sous l’occupation Patrick Coiffier photos Bundesarchiv
Source bibliographique et cartes :
Ce qui s’est vraiment passé à Rouen le 19
avril 1944. Paul Le Trévier et Daniel Rose
la "nouvelle technologie" ne permet toujours pas d'éviter ces "erreurs"...
Il est intéressant de comprendre pourquoi les alliés ont ainsi bombardé la ville, Merci:-)
Rédigé par : Florence | 21 avril 2008 à 00:32
Comment a été reconstituée "la silhouette de la ville lors d'un bombardement"ou est-ce une photo? cela m'"intrigue"!!
Rédigé par : Florence | 21 avril 2008 à 20:26
@ Florence :
Parmi nos témoins en 2004, il y avait un photographe. Pendant la guerre, il photographiait en cachette avec le peu de pellicule qu'il avait. C'est lui qui a fait cette photo. Maintenant, comment il s'y est pris, je ne saurais dire...
Rédigé par : Laure | 21 avril 2008 à 20:33
MERCI, cela n'a que plus de valeur...
Rédigé par : Florence | 21 avril 2008 à 21:05