Avec l’arrivée des Allemands, les
mesures discriminatoires envers les Juifs commencent. Dès octobre 40, le
gouvernement de Vichy promulgue une loi sur le statut des Juifs. Ce texte
exclut des citoyens français juifs de la fonction publique, de l'enseignement,
de l'armée... Les Juifs se voient définis par des critères raciaux. On tamponne
en rouge au recto de leur carte d’identité la mention JUIF ou JUIVE. Au
printemps 42, le port de l’étoile jaune est imposé aux Juifs rouennais. En
juillet, on leur interdit l’entrée dans les restaurants, les hôtels, les cafés,
les théâtres et les cinémas, ils n’ont plus accès au téléphone.
"Je suis née le 14 avril 1931 à Rouen et ma sœur Gaby le 1er avril 1932 à Rouen également. Pendant la seconde guerre mondiale, nous sommes partis en exode, l’été 1940, à Arcachon. Malheureusement, nous avons dû revenir chez nous à Rouen, pour rouvrir notre magasin. Le commerce était difficile à cette période : on avait du mal à se procurer de la marchandise.
Lettre du préfet de Seine-Inférieure aux
sous-préfets et commissaires de police ordonnant d’apposer la mention JUIF sur
la carte d’identité.
ADSM, 3352W2, fonds du Commissariat central de
Rouen.
En 1941, paraissent les lois raciales visant les Juifs. Nous n’avions pas
le droit d’aller dans les jardins publics, d’utiliser les cabines
téléphoniques, d’entrer au lycée. Nous devions respecter un couvre-feu :
les rues nous étaient interdites après 20 heures.
Nous avons dû nous faire recenser à la mairie ou à la préfecture. Nous
avons obéi à la loi, parce que nous n’avions pas honte d’être juifs et que nous
ne voulions pas être en infraction. On a apposé sur nos pièces d’identité un
tampon : JUIF. Sur la vitrine du magasin de nos parents, était collée une
affiche disant que nous étions des commerçants juifs. Ceci était fait pour que
les clients n’y viennent plus. Même après cette mesure, certains soldats
allemands entraient dans la boutique. Il n’aurait pas fallu pour eux qu’ils
soient surpris par un de leur chef. Un peu plus tard notre commerce nous sera
confisqué.
Fin mai 1942, une ordonnance allemande rend obligatoire le port de
l’étoile jaune pour les juifs âgés de plus de 6 ans et résidant dans la zone
occupée. Quand nous allions à l’école, nous essayions de cacher notre étoile.
Un jour que je courais vers la boulangerie la plus proche de notre appartement,
quelqu’un m’a dit : « Tu n’as pas mis ton étoile ! » J’ai
eu très peur. Paulette, 13 ans. [1]
Dans la nuit du 14 au 15 janvier
1943, ordre est donné d’arrêter tous les Juifs du département. Un
fonctionnaire zélé et antisémite, sans attendre les ordres du Préfet,
s’empresse d’établir les mandats d’amener des 225 personnes répertoriées. Dès
21 heures, avec l’aide de la police française, on procède à l’arrestation de
tous les Juifs, malades, enfants, vieillards compris. Tous sont conduits au
centre de la rue Poisson puis envoyés au petit matin à Drancy. Sur les 155
déportés, 4 seulement reviendront vivants.
Extrait de la liste des juifs raflés à Rouen dans
la nuit du 15 au 16 Janvier 1943 : sur cette liste figurent effectivement
des femmes, des personnes âgées et des enfants.
ADSM, 3352W2, fonds du Commissariat central de
Rouen.
Le 13 janvier 1943, 2 hommes, un policier et un inspecteur de police sont
venus nous chercher. Pour tromper notre méfiance, ils nous ont dit qu’ils
voulaient nous donner une contravention parce que nous avions laissé la lumière
allumée. Ma mère a essayé de les dissuader : elle ne pouvait pas croire
que des policiers français, qu’elle voyait passer tous les jours devant chez
elle, soient venus pour nous arrêter ; elle ne le croirait que s’ils
revenaient accompagnés d’un Allemand. Elle ajouta, à travers la porte, qu’elle
était alitée, qu’elle ne pouvait se déplacer : elle venait de faire une
fausse couche. Un peu plus tard, nous avons dû suivre les deux policiers. Maman
avançait extrêmement lentement, elle avait emporté une chaise sur laquelle elle
s’asseyait fréquemment. Quand nous fûmes près du commissariat de l’Hôtel de
Ville, nous aperçûmes la file de nos coreligionnaires qui montaient la rue
Louis Ricard. Portant un maigre baluchon, ils étaient emmenés à la gare. Notre
grand-mère et Liéto étaient parmi eux.
Nous sommes entrées dans le commissariat ; après avoir rédigé un
procès verbal, le fonctionnaire a demandé : « Qu’est-ce qu’on fait de
ces gens-là ? Les autres sont déjà partis. »
Maman ayant précisé ses problèmes de santé, on a fait venir une ambulance pour la conduire à la maternité. Arrivée à l’hôpital, ma mère a supplié qu’on ne lui enlève pas ses enfants. On l’a rassurée : nous devions être conduites dans le service qui accueillait les enfants abandonnés ou malades. C’était tard dans la nuit : une religieuse nous a donné un petit lit pour nous deux. L’hôpital subissait également les restrictions de la guerre : il y avait plusieurs enfants par lit. Pendant qu’on s’occupait de nous, des infirmières interrogeaient Maman. Elle continuait à déclarer la même chose, en ajoutant qu’elle voulait voir le médecin responsable du service. C’était le docteur Lauret, NOTRE SAUVEUR. Quand il a voulu examiner Maman, elle lui a dit la vérité : « Je ne suis pas malade, on est venu m’arrêter avec mes deux filles parce que nous sommes juifs. » Le docteur l’a rassurée en lui disant qu’il la prenait dans son service. Un peu plus tard, un médecin allemand est venu pour examiner Maman. Il n’a pas osé contredire le Professeur qui avait « trouvé » à sa nouvelle patiente une maladie indécelable. Le médecin allemand a sans doute deviné la supercherie, il dira au Professeur Lauret quelque temps après : » Je pars sur le front de l’est. Mon remplaçant ne sera pas forcément aussi bienveillant que moi. »
Quant à nous, nous étions au milieu des autres enfants : les religieuses disaient que nous étions malades. Paulette 13 ans. [1]
Gaby et sa sœur Paulette parmi d’autres enfants à l’hôpital général de Rouen en 1943.
[1] Le
témoignage de Paulette est extrait d’un récit exceptionnel. Je vous invite à en
prendre intégralement connaissance.
Au total, plus de 80% des
enfants d'origine juive vivant en France en 1939 ont été sauvés. Ce chiffre
n'est que de 10% aux Pays-Bas… Sur un plan général, 28% des
juifs vivant en France en 1939 ont été victimes de la Shoah. Ce chiffre a été
de 71% aux Pays-Bas et de près de 90% en Pologne…
A écouter aussi, Denise
Holstein, Matricule 16727, témoin inlassable de la Shoah. Seule rescapée de la
rafle de Rouen en 1944, il lui fallut près d'un demi siècle pour oser raconter
l'horreur de la déportation espérant en vain oublier. Denise Holstein a
sillonné la France
et témoigné de collège en lycée pendant 20 ans, afin que vive la MÉMOIRE et que les jeunes
d'aujourd'hui n'oublient pas les enfants d'Auschwitz.
Rue du Donjon :
Deux plaques commémoratives à l'emplacement de l'immeuble de la Gestapo, détruit par les
bombardements du 19 avril 1944.
L'une rappelle les tortures subies par les résistants
dans cet immeuble (crime de guerre). L'autre rappelle le racisme et
l'antisémitisme et les crimes contre l'humanité du régime de Vichy. Par
ailleurs, une dalle recouvre des cendres de déportés morts dans les camps de
concentration, qui peuvent être ni résistants ni Juifs.
très émouvant..toujours...survivre après ne doit pas être facile...Merci à ceux qui ont témoigné, à ceux qui continuent à témoigner...NE JAMAIS OUBLIER...
Rédigé par : Florence | 21 avril 2008 à 00:45