Défilé des troupes
devant le général Kuntzen, commandant de la 81ème armée Korps, dont
le poste de commandement est à Canteleu. [1]
La population rouennaise souffre
sous les réquisitions et les privations. Les interdictions sont nombreuses. Il
est défendu de naviguer sur la
Seine, interdit aux civils d’entrer ou de sortir de la ville
sans permis signé par les autorités militaires, interdit de photographier sur
la voie publique si on n’est pas Allemand, défendu d’écouter la radio étrangère.
On ne peut rouler en automobile sans « ausweis » apposé sur le
pare-brise. La circulation est strictement réglementée, y compris celle des
piétons qui doivent, tout comme les véhicules, respecter le sens unique de la
marche à droite.
Notre hôtel-restaurant a été réquisitionné par les officiers allemands.
Ils ont pris tout, d’un seul coup, ils ont tout envahi. Odette,
34 ans.
Les Allemands ont décidé que rue du Gros-Horloge, les piétons
marcheraient à droite. Et je revois très bien une pancarte écrite en français
et en allemand, sous l’horloge elle-même, recommandant aux piétons de circuler
à droite dans le sens de leur marche. Jacques, 12 ans. [2]
Même à pied, il était interdit de traverser hors des carrefours. (…) et
puis on voyait des gens se faire piquer aussi, simplement pour avoir marché sur
un trottoir à gauche… André, 13 ans. [2]
A partir de 1942, l’Allemagne
ayant besoin de main-d’œuvre, impose le STO. Les jeunes gens y sont envoyés dont beaucoup, contre leur
gré, pris dans des rafles avec la complicité du gouvernement de Vichy.
Les Allemands ont commencé à s’organiser et ils ont décidé de prendre la
classe de 1942, tous les jeunes hommes qui avaient 20 ans cette année-là. Ils
ont été réquisitionnés pour travailler en Allemagne, là il n’y avait pas de
passe-droits… Ils rassemblaient tous les jeunes rue des Requis – qui s’appelait
alors la rue Poisson -, dans un centre de réquisition. On les prenait et hop,
ils partaient là-bas. André, 28 ans. [2]
On réquisitionne aussi les
hommes pour travailler sur place.
La police, place Barthélémy, venait avec un fourgon pour rafler les
hommes, et je pense que mon père a été raflé pour aller travailler avec les
Allemands. Il y avait un fourgon qui arrivait, les policiers descendaient et
ils couraient dans les rues et attrapaient tous les hommes adultes. Je me souviens
que les gens criaient « La rafle, la rafle ! », pour que les
hommes se sauvent, parce que
ces hommes-là étaient réquisitionnés par les Allemands, et je pense que mon
père est allé travailler à Dieppe dans ces conditions-là. Là, pas question de
s’en aller parce que c’était pour eux la prison, pour ceux qui voulaient
s’échapper c’était la prison. Roland, 9 ans. [2]
Le Cinédit, très
endommagé par l’incendie du 9 juin 1940 sera réparé et réquisitionné pour
devenir le Soldatenkino. [1]
A partir de 1941, les sabotages
et attentats, au départ, initiatives isolées, puis assurés par des groupes de
résistants vont en se multipliant. Et la répression est implacable.
Un de mes cousins a eu le malheur d’aller au cinéma, au Cinédit, dans le
bas de la rue Grand-Pont, en face des Galeries… Ce jour-là, quelqu’un avait dû
agresser un Allemand, et ils avaient le signalement d’un type qui était jeune,
18 ou 20 ans, et qui s’était vraisemblablement réfugié rue Grand-Pont. Les
Allemands ont considéré que s’il s’était réfugié là, ce ne pouvait être qu’au
cinéma, ils ont attendu la sortie et ils ont contrôlé les spectateurs. Mon
cousin, qui se trouvait dans cette tranche d’âge – il avait 18 ans -, a été
pris avec des tas d’autres, on l’a mis dans un train en partance pour je ne
sais où, ce train a été bombardé, ce pauvre Jacques est mort comme ça. C’est
arrivé à d’autres de nos copains, on ne les revoyait plus, on disait qu’ils
avaient été arrêtés, on ne savait pas trop pourquoi, alors peut-être
étaient-ils clandestins, mais souvent ils ne l’étaient même pas. Il suffisait
que les Allemands fassent une rafle pour une raison ou une autre… Edith,
19 ans. [2]
Quand il y avait un attentat contre un soldat, ou s’il y avait des morts,
ils faisaient des rafles, et tous ceux qui étaient pris dans la rafle y
passaient, on les fusillait, on les faisait fusiller. On les regroupait au Palais
de Justice, dans les souterrains, en attendant de les emmener au stand des
fusillés. Aujourd’hui, là-bas, tous les noms de ceux qui y ont été fusillés
sont gravés… Malheureusement, dans ceux qui étaient pris, il y en avait au
moins dix qui y passaient pour un soldat allemand tué… André,
28 ans.
A cette époque-là, si on était pris, on allait au Donjon, s’il fallait
des otages, on se retrouvait au peloton d’exécution au Madrillet. Presque tous
les matins, il y avait des exécutions… Odette, 34 ans. [2]
Le stand
des fusillés à Grand Quevilly : Élevé en 1949 sur
l'emplacement d'un lieu d'exécution, rappelé par les poteaux de bois et la
statue, ainsi que par les noms des 76 fusillés rouennais.
[1] : Rouen sous l’occupation Patrick Coiffier photos Bundesarchiv
[2] : Tous les témoignages
sont extraits de Rouen, mémoires 44.
L’âge des témoins est celui qu’ils avaient en 1944.
Suis sûre que pas mal de blogueurs lisent tout cela avec intérêt et émotion ; et scrutent les photos si lointaines et si proches de nous à la fois.
Dans "Rouen captive", le maire de l'époque, Maurice Poissant, évoque (p 138) la question de la Relève, et décrit les stratagèmes qu'il met aussitôt en oeuvre pour éviter que des travailleurs rouennais partent en Allemagne contre leur gré : "A la mairie, nous déclarons tout le monde indispensable ; et je ne saurais me souvenir du nombre de certificats donnés aux employeurs rouennais pour sauver du départ ceux qu'ils occupaient"
Poissant est quand même obligé de faire un discours public, en juillet 1942, où il reprend le chantage affectif martelé par les autorités allemandes et vichyssoises : partir travailler en Allemagne, c'est permettre à des prisonniers de rentrer
Poissant démissionnera moins d'un an plus tard (sous la pression allemande, mais il est soulagé quand même, car c'est un vrai républicain) ; est arrêté peu après, déporté à Neuengamme, mais en réchappera
Rédigé par : Sessyl | 17 avril 2008 à 18:42
je découvre vos billets suite à votre commentaire chez Embruns. bravo, et merci de faire ça.
je ne connais pas Rouen, mais ces images en appellent d'autres, les témoignages font écho à des choses lues... ce genre d'histoires est universel et en même temps très personnel, très local, rempli d'émotion pour ceux qui connaissent les lieux.
j'espère qu'ils feront boule-de-neige et encourageront d'autres blogueurs à faire de même sur leur ville...
une chose me frappe cependant : les Rouennais semblent résister bien plus (plus tôt et plus vigoureusement) que les Parisiens à l'Occupation, est-ce une impression que me laissent vos billets par rapport à celui de Laurent ou était-ce réellement ainsi ?
Rédigé par : Dodinette | 17 avril 2008 à 18:47
Pour faire court : non, Rouen n'a pas été une ville très résistante. C'était d'ailleurs très, très difficile : présence allemande forte (car proximité à la fois de la capitale, du mur de l'Atlantique et de l'Angleterre, seul pays résistant aux Nazis jusqu'à mi-1941).
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a eu ni réseaux, ni mouvements, ni héros (ex Césaire Levillain, etc)
Les villes les plus résistantes ont reçu des décorations et des hommages spéciaux ; çà permet de se faire une idée de leur "degré" de résistance (pas facile, en tout état de cause, à mesurer précisément !)
Encore une fois Rouen et sa région étaient très, très quadrillées par l'occupant. Difficile aussi de créer des maquis dans une campagne densément occupée, et sans montagnes. Il y a eu quand même le maquis de Caumont
Rédigé par : Sessyl | 17 avril 2008 à 19:24
Merci Sessyl d'apporter ces éclairages. C'est aussi ce que me racontaient mes parents qui vivaient près de Dieppe, dans la vallée de la Scie, là aussi une zone très surveillée. Il y avait encore la construction de rampes de V1 autour de Rouen et dans le pays de Caux. J'éprouve malgré tout une certaine fierté à constater que le premier édile de Rouen, jusqu'en avril 43, était tout sauf un collabo.
Pour Dodinette, je pense que la différence avec le billet d'Embruns est que je me base beaucoup sur le témoignage des enfants et adolescents de cette époque. Ils apportent un peu de fraîcheur dans cette époque si noire.
Rédigé par : Laure Leforestier | 17 avril 2008 à 19:36
Cette série de billets, c'est vraiment une belle idée ! J'ai dévoré les articles comme on lit un roman et j'attends la suite avec impatience.
Rédigé par : Marie Laure | 18 avril 2008 à 09:03
comme un roman, oui, car cela est bien écrit, les témoignages sont extraordinaires de précisons (mais comment opublier une guerre?); mais ce n'est pas un roman, c'est la Réalité qui existe, hélàs, encore. Et que toutes ces personnes avides de vie, de mouvements et de liberté, aient pu construire une vie est à mes yeux un "miracle", une ode à la vie:-)
Rédigé par : Florence | 21 avril 2008 à 21:11
Merci pour toute cette documentation, tous ces témoignages passionnant .
Rédigé par : Bruno | 30 avril 2008 à 08:27