Le 31 août, la rive gauche est libérée.
Nous avons été
libérés une journée après Rouen, le 31 août. Le 30 août, nous avons vu le
drapeau français flotter sur Bonsecours, comme nous étions juste en face dans
notre quartier, nous avons pris les jumelles… voir un drapeau français, ça a
été absolument merveilleux parce que pendant quatre ans, il avait fallu
supporter le drapeau avec la croix gammée sur nos mairies, c’était atroce. On
le ressentait comme une véritable agression, en plus des autres. Le matin du
31, les voisins nous ont dit : « Les Canadiens défilent au bout
de la rue ». Ils sont arrivés par la rue d’Elbeuf, c’est d’ailleurs comme
ça qu’une partie de la rue s’appelle aujourd’hui l’avenue des canadiens. Tout le
monde s’est précipité, on les a acclamés, les gens offraient des fleurs. Ce qui
est amusant, c’est que je leur ai souhaité la bienvenue en anglais et ils n’avaient
pas l’air de comprendre… c’étaient des Canadiens français… par la suite, les
Américains leur ont succédé, des Noirs américains qui étaient dans des
régiments différents des Blancs – la ségrégation… Ils avaient la bosse du
commerce et vendaient de tout : des parachutes, des fils de parachutes,
des couvertures. Alors, avec les fils de parachute, ma mère m’a tricoté un
petit chemisier. Janine,
16 ans.
Dans les semaines qui suivent, plusieurs centaines de
personnes seront arrêtées. C’est l’épuration. Il n’y aura pas trop de scènes de
débordements hormis les scènes pénibles de femmes tondues en public.
Les premiers étaient
des Canadiens de l’armée du général Crerar, je me rappelle, et puis après les Américains
sont arrivés, les Anglais, il y avait un petit peu de tout… mais ils ne
faisaient que passer, enfin ils laissaient quelques services, mais sinon ils continuaient,
la guerre continuait, ils allaient jusqu’en Allemagne, eux ! (…) Avec mon
père, nous sommes descendus place de la gare, et nous avons vu des officiers
allemands qui sortaient de l’hôtel de Dieppe, qui avaient passé la nuit là, qui
sortaient les mains en l’air. Il y a eu quelques débordements, par exemple
quand on a rasé les cheveux des femmes, ça ce n’était pas très… C’était
humiliant et pour faire ça, c’étaient des FFI de la dernière heure, ils se
croyaient très forts, ils rasaient les cheveux d’une femme, mais il y a eu
beaucoup d’excès dans ces cas-là. Les vrais FFI, eux, ils se battaient contre
les Allemands, mais en 44, il y a ceux qui ont sorti les brassards tricolores
flambants neufs, c’est souvent comme ça, dans les guerres… Jean, 16 ans.
A l’école, on nous a
réunies au réfectoire en nous disant : « Voilà, deux Américains vont
vous distribuer des bonbons, il faudra passer une par une ». D’accord, et
ces deux Américains se sont installés dans le couloir avec une grosse caisse de
bonbons entre eux. Mais la surprise a été extraordinaire, ils étaient immenses
et puis ils étaient noirs. Les américains étaient des Noirs ! bon, je me
suis dit qu’avant d’aller à la caisse de bonbons, j’allais passer le nez en l’air
pour mieux voir de près… j’ai essayé, mais franchement ils étaient trop grands,
j’aurais été mal élevée de lever autant la tête. Voilà mon premier souvenir des
Américains…
Nicole, 4ans.
Moi, je n’avais pas
de souvenirs de bonbons, de ce que c’était, parce que, quand la guerre a
commencé, j’étais trop petit pour me souvenir des confiseries et de tout ça. Donc,
nous suivions les Américains comme des bienfaiteurs, forcément tout le monde
quémandait tout ce qu’il pouvait. Ils étaient dans l’ensemble gentils, ils nous
distribuaient plein de choses, on était heureux évidemment, c’était joyeux. Roland, 9 ans.
Mais alors là, du
chocolat, j’en ai eu, je me suis rattrapée, je peux vous dire que j’en ai
mangé, des rations que les soldats américains avaient dans leur paquetage. Ils
avaient du chocolat dans des boîtes paraffinées pour résister à la pluie. Alice,
10 ans.
A côté d’une
batterie anti-aérienne, il y avait trois ou quatre Américains, des grands
Noirs, auprès de qui nous allions chercher des cigarettes. Les Anglais, eux,
nous faisaient du thé. C’était un bidon de 25 litres , on mettait un
paquet de thé énorme et l’on versait du lait en poudre et de l’eau bouillante,
et ça faisait une bonbonne de thé grosse comme ça, il était délicieux d’ailleurs.
Nous allions aussi chercher des chewing-gums, et qu’est ce qu’on avait comme
chewing-gums ! On échangeait un œuf contre un paquet de cigarettes, contre
un paquet de chewing-gums, alors on piquait des œufs je ne sais où,
probablement dans la cave de ma mère. Michel, 13 ans.
J’avais fini par
avoir l’autorisation d’aller danser chez les Américains… Quand c’était à l’hôtel
de la Poste,
nous devions nous y rendre par nos propres moyens, mais nous allions aussi à
Alizay et à Pont-de-l’Arche et là, on venait nous prendre à domicile en jeep,
on nous emmenait. Ca se passait dans de grands baraquements. Les soldats nous
faisaient danser et puis ils avaient dû recevoir des ordres car ils étaient
extrêmement déférents, ils étaient polis, ils étaient gentils. J’ai appris à
danser le "jitterbug" avec les Noirs américains, ils avaient un
orchestre remarquable, et tous ces gens là étaient nos copains. Edith, 19 ans.
Le 8 octobre, le Général de Gaulle vient à Rouen. Il
assiste à une messe à Saint-Vivien puis se rend à l’Hôtel de Ville. Il signe le
livre d’or de la ville que l’on a précédemment épuré d’une page commémorant l’arrivée
des Allemands le 9 juin 40, et signé par le maire, Maurice poissant, premier
otage. Il défile ensuite en ville et
prononce un discours. La foule est venue très nombreuse pour l’acclamer.
La visite du Général
de Gaulle en octobre 44 a été quelque chose de merveilleux. Mon père, qui pourtant était socialiste,
admirait beaucoup le général de Gaulle. C’est assez amusant parce que le
général avait un air très impérial, il était grand, bien droit et puis pas très
souriant – ce n’était pas son genre -, mais mon père agitait son chapeau avec
une telle frénésie que le Général l’a aperçu et lui a fait un sourire. Janine, 16 ans.
Rouen est très meurtrie. Voici ce qu’en dit André Maurois,
revenant après la guerre dans la ville de son enfance.
Quand je gagnai la
place de la Cathédrale
et que soudain m’apparut la plaie, béante et géante, qui mettait à nu, jusqu’aux
lointaines hauteurs de la rive gauche, le squelette du paysage, enfin je
compris : le cœur de la ville avait été arraché.
Plusieurs dizaines de milliers de sans-abris, le
patrimoine monumental éventré, la reconstruction sera longue. Mais ça, c’est
une autre histoire… Ainsi s’achèvent les chroniques de ma ville sous l’occupation.
que de témoignages extraordinaires... il y aurait tant à dire encore... BRAVO et MERCI pour ces chroniques: les histoires dans l'Histoire : passionnant, édifiant...
Rédigé par : Florence | 29 avril 2008 à 23:39
Bonjour,
Ainsi se termine ces chroniques sous l'occupation.....
j'ai attendu la fin pour donner un avis général sur ces publications.
Quand je vois les dégats de cette effroyable guerre et l'idéologie nazi d'extrème droite qui fut portée par la population Européenne (élection de Hitler en 33 et mussolini acclamé......), je me dis que finalement cela peut recommencer...pas de la même manière, mais la situation politique internationale et l'économie modiale sont dans un chaos permanent et c'est une faiblesse dont profite dèjà le nationalisme.
Je suis triste de constater que malgré ce passé encore proche, il existe encore des théories d'extrème droite inscrutes dans les gouvernements Europpéens.
L'italie a encore la ligue du Nord qui se trouve en pleine forme.
La France développe une politique d'immigration proche des idées frontistes.
Et il en existe d'autre en Europe. Et ce qui me fait bondir, c'est que la droite traditionnelle n'arrete pas d'avertir le possible retour du communisme alors que les thèories d'extrème droite et la droite dure d'Europe sont bien présentes!!
Bref, Laure, merci pour ce rappel, mais tu vois, je me demande si nos contemporains sont conscients de ce dansger de retour en force de l'extrème droite.
Alors, ce n'est pas un retour par l'armée, mais par une infiltration des idées ultra nationalistes dans une transversalité qui touche tous les sujets de la société.
En France, si on ne réagit pas autour d'une gauche rassemblée et repensée,il est clair que nous aurons une présidence de plus en plus droitière.
Dernière chose : Et toi, que penses tu de cela ? Y a t-il un danger de voir réapparaitre au grand jour ces idées ?
Rédigé par : fredéric Quillet | 01 mai 2008 à 12:04
Le plus grand danger à mon sens, c'est l'ignorance. Il n'y a pas de meilleur rempart contre l'imbécilité et les propagandes à la noix que de connaître, d'être ouvert et tolérant.
Bien sûr que tous ces fantômes reviendront au train où vont les idées. On glorifie la bêtise, le vide....comment ne veut-on pas qu'à un moment des extrêmistes en profitent pour imposer leurs idéologies opportunistes et pseudo-réformatrices?
Regardez ce qu'il se passe dans certains stades...
Le public pour les grandes parades est déjà là !
Ce que je regrette, c'est qu'à gauche, mis à part la bataille des égos (Moscovici, Valls, Royal...), je ne vois pas d'élans pour des proposition réalistes et modernes.
Faute de mieux, prions pour notre président.
Rédigé par : Monsieur Julien | 03 mai 2008 à 14:59
Et aujourd'hui, on boit du coca-cola en souvenir de ce jour.
Rédigé par : Idéal du Jurançon | 04 mai 2008 à 19:02