C’est toujours un plaisir de participer aux entretiens auxquels nous convie Jacques Rosselin de Vendredi. Parce que c’est une bonne occasion de retrouver des copains blogueurs, mais surtout parce que c’est la possibilité d’interroger des politiques. Mercredi dernier, c’est Jean-Luc Mélenchon qui acceptait de nous rencontrer. Et qui nous a consacré du temps, près de deux heures trente. Ce fut un régal d’entendre s’exprimer sans détours un homme d’esprit, notre blogueur politique préféré puisque nous lui avons décerné le Nicolas d’or en 2009.
Il s’en est dit des choses pendant cet entretien. J’ai choisi de sélectionner un passage qui m’a particulièrement intéressée car il y est question d’écologie politique. Vous pouvez, si vous le souhaitez, écouter l’intégralité de l’enregistrement grâce à Seb Musset.
Ma question : comment concilie-t-on au Front de Gauche l’alliance avec le PC, et plus particulièrement certains communistes adeptes du productivisme ? C’est le cas dans ma région, où le Front de Gauche présente comme tête de liste le maire de Dieppe, qui est un adepte du nucléaire, qui souhaite implanter une usine de nitrates au cœur de sa ville…
La réponse sera longue. Après un certain nombre de considérations sur l’évolution du PS, après des digressions dues aux interventions de Dedalus qui l’agacent profondément, après avoir raconté ce qui l’a amené à sortir du PS et à fonder le Parti de Gauche, voici quelques morceaux choisis :
La question du productivisme,
c’est une question qui n’est pas pensée à gauche. Ce n’est pas parce que les Verts le pensent, l’ont pensé et ont produit beaucoup de choses
sur le sujet, que pour autant c’est quelque chose qui est compris. Même au
Parti Socialiste, d’abord quand j’y siégeais ce n’était pas ma première
préoccupation, honnêtement. Bon, une chose en entraîne une autre, j’ai commencé
à réfléchir au problème différemment, par mes propres… Donc clairement le productivisme,
c’est un concept qui n’est pas bien compris au parti Communiste. Et je pense que c’est très divers entre eux
mais que globalement Ils ont les mêmes réflexes que ceux que moi je pouvais
avoir il y a cinq, six ans. Par exemple sur le nucléaire c’est une vision
acritique. Je pense moi qu’ils vivent dans une illusion, que la plupart des
arguments qu’ils mettent en avant à propos du nucléaire ne sont pas fondés.
Bon, aujourd’hui le nucléaire nous rend indépendants, ce n’est pas vrai. Le
nucléaire est sûr… Jusqu’au moment où il l’est plus, donc on ne peut pas
appeler ça sûr. Après, il y a des pans entiers du non-dit qui pourtant
intéressent les communistes : la défense nationale, ça existe. Bon eh bien
comme est organisée le parc des centrales nucléaires dans ce pays, notre vulnérabilité,
elle est considérable !
Donc il y a plein de discussions à avoir, mais honnêtement ce n’est pas
une discussion qu’avec eux, c’est une discussion dans toute la gauche. Plein,
des milliers de réflexes que nous avons tous, des manières de penser que nous avons
de… Par exemple l’autre jour, j’écris un truc sur les retraites et puis au bout
d’un moment, je m’aperçois que je n’arrêtais pas de parler de croissance… Et je
me dis : « Mais qu’est-ce que je suis en train de faire là ? ».
Bon alors après c’est un peu comme vous là, je me dis : « Merde, je
vais faire des nuances ». Je commence à mettre des phrases partout, on ne
comprenait plus rien, donc j’ai enlevé mais je me dis : « Bon va
falloir que je revienne sur le sujet, que je mette c’est une croissance sélective,
tout ne doit pas croître, etc. » parce que je parlais des retraites.
Donc je pense qu’on a une
révolution culturelle très profonde à faire. Mais nous aussi, quand on a commencé le parti de Gauche, je savais
qu’il fallait tout de suite tourner là-dessus. Tout de suite, fallait dire, le
cadre est changé, le cadre est changé. Dans les quatre premiers points du
programme du parti, il y a la planification écologique. Doubles hurlements,
écologique pour les uns, planification pour les autres. Pour être honnête, mon
point d’entrée a plutôt été idéologique, philosophique. L’écologie politique refonde l’intérêt général humain. Donc à
partir de là, tout le reste vient. S’il y a un intérêt général humain, comment
pouvons-nous connaître la délibération collective, ce qui est bon pour tous,
etc. (…)
Suit un passage où Jean-Luc Mélenchon déroule le cheminement qui l’a amené jeune homme vers le marxisme.
Là c’est pareil pour ma manière d’entrer dans l’écologie politique, je
voyais bien que ce qu’ils disaient était juste. Le pire coup que je me suis pris c’est sur le nucléaire. Parce
que quand j’ai été élu sénateur, on me saoulait avec la centrale de Nogent.
Dans mon coin il y avait des gens qui étaient contre la centrale de Nogent. Moi, j’étais béton et électricité. Mais
quand même, la dignité de parlementaire, je commence à poser des questions
écrites. Et alors là, la surprise. On me répétait tout le temps la même chose, on
comparait, c’étaient les mêmes réponses faites à d’autres, au mot près. Je vais
voir la centrale et la visite de la centrale a fini par me foutre les jetons.
Là je me suis dit : « Mais ça va pas là, qu’est-ce que je suis en
train de faire, de raconter des histoires aux gens, le nucléaire est sûr,
indépendant, ce n’est pas vrai ! » La centrale de Nogent subit à intervalles
réguliers des attaques des lapins. Je ne vais pas vous parler de la centrale de
Nogent mais je vous jure qu’il y a de quoi avoir peur. A partir de là je me
suis dit : » Mon gars, les certitudes c’est fini, il faut regarder. »
Après on a eu au Sénat les débats sur l’enfouissement des déchets. Je ne peux
pas dire, je n’y étais pas, je n’ai pas entendu. J’ai entendu des gens
dire : « Il n’y a qu’à foutre tout ça dans la mer. » Mais ce
n’est pas possible, comment ils peuvent dire un truc pareil ! Donc cela montrait
qu’il y avait une perception du risque qui n’était pas la bonne. Donc, ça c’est
pour vous répondre.
C’est une grosse affaire de la révision générale de l’idée qu’on se
fait, et moi elle m’intéresse parce qu’elle
a une dimension de révolution culturelle qui est indissociable de l’idée socialiste
et républicaine. C'est-à-dire qu’on ne peut pas faire une révolution
républicaine et socialiste dans ce pays s’il n’y a pas en même temps une
révolution culturelle. Moi je ne suis pas d’accord pour recommencer quand
j’avais 20 ans à dire : « Avec les capitalistes, une Mercédès pour
quelques uns, une 2CV pour tous les autres, pour nous ce sera une Mercedes pour
tout le monde ! » Non, non, faut produire français ; je ne sais
pas quelle était la bagnole de l’époque… Cela ne peut pas être ça. Cela ne peut
pas être : « Le socialisme a comme projet d’étendre ce que pratique
une petite poignée d’élite riche à toute la population. » Cela a ne peut
pas être ça. Et faut dire aux gens, « Non ce n’est pas ça qu’on fera, non,
tu n’auras pas un yacht ! » (…)
Cette dimension de révolution culturelle, elle nous ramène aussi à des fondamentaux
du socialisme et de l’esprit républicain. Parce que quand vous lisez tous les
premiers républicains, leur problème c’est ça. Comment faire une république
avec des ignorants, des gens en proie à des préjugés, à des dominations
culturelles qu’ils ne maîtrisent pas et ainsi de suite. Donc vraiment
l’écologie politique a fourni un moteur, clefs en main, pour faire repartir l’idéal socialiste et
républicain pour moi. (…)
La fin en soi, c’est la
refondation de la gauche. Est-ce
que le peuple français peut à nouveau apporter une contribution à l’histoire
universelle ? (…) On a une capacité absolument extraordinaire, on a un
peuple qui a un haut niveau d’éducation, on a des infrastructures, on peut
faire beaucoup de choses. C’est cela le but de l’affaire.
Toute cette partie de l’entretien là :
Dernier billet : http://www.jean-luc-melenchon.fr/2010/02/la-drole-daffaire-freche/
A lire chez les copains blogueurs :
Dedalus : Jean-Luc
Mélenchon, un socialiste en colère
Richard Trois : Jean-Luc Mélenchon : « Moi j’ai choisi ma tête à claques, c’est Frêche ! »
Vogelsong : Un républicain à l’assaut des médias, J.L. Mélenchon
Billets à venir chez Seb Musset, Reversus et Ronald
Je lis les divers billets et j'apprécie le tien parce que c'est cet aspect - là, la place centrale de l'écologie dans le programme du PG qui m'a attiré au PG...
On n'est pas des masses, on n'a guère d'élus, on ne pèse guère électoralement, mais au niveau des idées, quelque chose se passe...
Rédigé par : des pas perdus | 02 février 2010 à 18:09
@ des pas perdus : l'écologie politique t'a attiré au PG, moi c'est chez EE ! Et j'aurais préféré que Mélenchon s'entende avec les Verts plutôt qu'avec le PC. Mais la politique, ce sont d'abord des relations humaines, et je pense que la lutte contre le TCE a soudé certains partenaires, on ne refait pas les histoires...
Rédigé par : Laure | 03 février 2010 à 14:21
Bonsoir,
Je n'en demeure pas moins un militant au PS tout en gardant une certaine sympathie pour les analyses de Jean-Luc Mélanchon sur le discours de gauche... de gauche (lutte des classes, capitalisme, république sociale...)
Je note son ouverture récente à la question écologique et à la mise en cause du productivisme: il est sur la bonne voie!
Car il faut, en effet, croiser toutes les questions: la question éco-sociale avec la question environnementale et la question territoriale (géo-politique) car il y a des territoires riches et dominants et des territoires pauvres et dominés et dans chacun de ces territoires, les plus pauvres subissent la géographie des autres!
Une élection "régionale" est finalement, plus que tout autre, une élection à prendre au sérieux au niveau des idées: on peut faire enfin, de la géo-politique appliquée et c'est un outil très efficace pour avoir les idées qu'il faut avoir pour mettre en oeuvre de vraies politiques publiques au service des citoyens qui habitent sur des territoires en souffrance!
Voici une proposition:
Faire d'Europe Ecologie en Normandie un laboratoire d'idées pour le progrès humain car la Normandie avec sa question territoriale, sa question sociale ou économique et sa question environnementale, conséquences d'une géographie industrielle subie, est un véritable cas d'école!
C'est un beau projet de noble politique!
Mais à deux conditions qui peinent à être réunies:
1 Que le fait régional soit enfin pris au sérieux!
2 Que les dirigeants du PS notamment en haute Normandie cessent de confondre idées politiques avec idées politiciennes! (ne pas confondre ceux et celles qui font de la politique et ceux et celles qui ne font qu'en vivre: l'écologie politique c'est bien mais l'écologie de LA politique, c'est encore mieux!)
Après le 14 mars, il faudra savoir ne pas perdre son âme: l'avenir même de la Normandie, en tant que territoire maîtrisant enfin son avenir, en dépend!
Amicalement,
Philippe CLERIS
Rédigé par : Philippe CLERIS | 04 février 2010 à 22:59