Avec une semaine de retard, ma chronique HDR de la semaine dernière...
Bonsoir Manu, bonsoir Malik, bonsoir à vous toutes et tous, auditrices et auditeurs d’HDR. Pour cette 8e chronique du Speedball, pour tous les accrocs de la politique et d’internet, je vous propose un petit tour de manège à la foire Saint Romain qui vient de s’installer sur nos quais pour un mois. Mais d’abord, c’est qui ce Romain ?
C’est l’un des premiers évêques de Rouen, de ceux que l’on nomme les évangélisateurs qui dirigea le diocèse de Rouen de 626 à 639. Evangélisateur, autant dire de ceux qui luttaient contre le paganisme pour installer la religion chrétienne en ces temps reculés. Curieuse destinée de ces premiers prélats qui veuille qu’après leur mort, leur dépouille fasse l’objet d’un culte et que l’on prête moult miracles intervenus par l’entremise de leurs reliques. Si ça, ce n’est pas du paganisme… Bref, Romain, les Rouennais le vénéraient tellement qu’il en devient le saint patron de la ville. On lui attribue plusieurs miracles qu’il aurait effectués de son vivant. Dont celui de la gargouille, une histoire de créature des marais dont Romain serait venu à bout à coup d’eau bénite et aidé d’un prisonnier, condamné à mort. La légende veut que le prisonnier ait été grâcié à l’issue de cette aventure.
Au XIe siècle, les reliques de Romain sont visibles dans une église hors les murs un édifice religieux en lieu et place de l’actuelle église Saint Godard. A partir des années 1030, la vénération annuelle des reliques attire, sur les terrains encore peu construits des environs de l’église, une fête populaire cumulant le "Pardon" au sens religieux, les réjouissances et bientôt les affaires. C’est l’origine de notre "Foire" saint Romain qui s’appellera longtemps la Foire du Pardon. La rue du Champ du Pardon, dans le quartier Jouvenet, garde la mémoire de cette ancienne appellation.
C’est donc sur les hauteurs, vers le quartier Beauvoisine, dans un vaste champ qui portait le nom de champ du Pardon que se tenait cette foire à l’origine lieu de commerce et d’échanges où l’on trouvait des étoffes, meubles, bijoux, linge, chaussures, vaisselle, coutellerie, chaudronnerie. Des théâtres ambulants se chargeaient de l'animation. Le jour de l’ouverture, le 23 octobre, on y tenait une grande vente de bestiaux avec chevaux, bovins, moutons, ânes, porcs…
Et la tradition persistera pendant près de 1000 ans. Au XIXe siècle, les marchands, toujours présents, laissent peu à peu la place aux spectacles forains. On trouve alors des représentations théâtrales, des tableaux, des parades, des troupes équestres, des ménageries, des musées anatomiques.
Ainsi, très jeune, Gustave Flaubert devient un spectateur assidu à la Foire Saint-Romain qui se tient alors autour de la place du Boulingrin. Les Théâtres de marionnettes et les exhibitions de monstres, surtout, le fascinent. Il y aurait eu notamment pendant des décennies un théâtre d’ombres mettant en scène la tentation de Saint Antoine. Certains voient dans ce spectacle l’origine possible de l’inspiration de l’écrivain pour cette histoire qui le hantera toute sa vie. Il est sûr en tout cas que la Foire alimentera l’imaginaire du jeune Gustave. Devenu adulte, Flaubert continuera à en faire un lieu de promenade privilégié, où il emmène ses amis dont George Sand.
Enfant, j’ai moi aussi connu la foire installée sur les boulevards, autour de la place du Boulingrin. Freaks n’était jamais bien loin, je me souviens ainsi de cette attraction qui exhibait la culotte de la femme la plus grosse du monde pour allécher le passant et l’inviter à payer quelques francs pour entrer et découvrir une monstrueuse parade d’homme sans bras et de femme à deux têtes…
C’est en 1983 que la foire Saint-Romain quitte les boulevards et s'installe sur les quais rive gauche. Les spectacles forains ont disparu au profit de manèges offrant les sensations toujours plus extrêmes. Pour les enfants, la magie demeure la même et chaque fois que je retourne sur les quais à cette période, je ravive mes souvenirs où se mêlent les odeurs de barbe à papa, de croustillons et de cochon grillé…
Il se dit que la foire Saint Romain est la plus grande foire de province, la seconde en France juste derrière la foire du Trône. Elle dure un mois entier, toujours autour des vacances de la Toussaint et s’étire aujourd’hui sur plus d’un kilomètre huit cents où se regroupent près de 220 attractions. On sait que les forains sont particulièrement attachés à cette manifestation qui représente en un mois plus d’un quart de leur chiffre d’affaires annuel. On comprend donc leur inquiétude alors qu’ils viennent d’apprendre qu’il est question de déménager la foire à partir de 2012. Pour la loger sur la presqu’île Waddington, c'est-à-dire rive droite, après le Hangar 23 et près du chai à Vin, là où se déroulent les concerts de l’Armada. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas tout à fait d’accord.
C’est en septembre dernier, au cours d’une réunion en mairie que les forains ont appris cette décision de déménagement de la foire. La Ville en effet, souhaite aménager les quais bas de la rive gauche qui en temps normal ne sont qu’un vaste parking à ciel ouvert qui accueille régulièrement tout au long de l’année diverses manifestations, à l’occasion desquelles les parkings doivent se vider pour laisser la place aux cirques, aux animations de Rouen Plage, aux 24 heures motonautiques ou bien sûr à la foire. La complexité de montage de certains grands manèges, nécessite l’immobilisation des quais près d’un mois avant l’ouverture et le démontage demande à peu près le même délai, ce qui fait que les quais sont ainsi occupés pendant quasiment trois mois, de fin septembre à début décembre.
Pour la Maire de Rouen, ce projet est sans aucun doute le plus ambitieux de son mandat, un projet urbain sur lequel elle prévoit d’investir près de 18 millions d’Euros. Elle y imagine une agora, un auditorium, envisage que l’on puiisse travailler sur la différence de niveaux des quais, y compris sur les ponts Boieldieu et Jeanne-d’Arc avec la possibilité par exemple de constructions immobilières. L’ensemble de ce projet serait incompatible avec le maintien de la foire sur ces lieux et c’est pourquoi le choix du déplacement a été validé par les décideurs de la Mairie qui, selon ses dires, a préféré engager un dialogue avec les forains pour un espace parfaitement compatible avec leur activité sur la rive droite.
Bien sûr, selon que l’on se place du côté des aménageurs ou du côté des forains, les avis ne sont pas les mêmes. En septembre, lorsque les forains ont été mis devant le fait accompli, lors de la fameuse réunion en mairie, ils ont quitté la salle en claquant la porte. Et la porte a claqué de nouveau vendredi dernier. Le rédacteur de Rouen Perspectives, blog d’opposition, raconte la scène avec ironie:
Traditionnelle aussi, la réception à l'Hôtel de Ville, où le Maire accueillait les forains venus animer la Ville durant presque un mois, un moment de convivialité qui marque aussi le coup d'envoi de la manifestation.
Seulement voilà, tout aurait pu suivre la longue tradition municipale immuable d'année en année, si Valérie Fourneyron n'avait eu soudain la malheureuse idée de présenter à ses invités sa vision de l'aménagement futur des quais rive gauche, et l'aménagement de la future zone d'accueil de la Foire Saint Romain, le môle Waddington.
A l'heure où le projet se dit basé sur la concertation avec les différents acteurs, le powerpoint présenté par le Maire n'a évidemment pas été apprécié à la valeur escomptée, les invités ayant eu plus l'impression d'être placés devant le fait accompli, que devant une démarche participative, respectueuse de chacun.
Face à ce qu'ils considèrent comme une provocation, unis, les forains claquent la porte et quittent la salle, laissant un Maire de Rouen médusé, accroché à un powerpoint qu'il finira tout de même de présenter aux rares personnes restées dans l'assemblée.
Force est de constater que le dialogue et la concertation n’ont pas l’air d’être au rendez-vous. Mardi matin, les forains constitués désormais en un Comité de défense de la Saint-Romain ont convoqué la presse sur la presqu'île Waddington, là où ils sont censés partir en 2012. Pour eux, cet espace loin des transports en commun, doté de parkings éloignés, et à un jet de croustillons des silos du port, c’est le bout du monde. Ils ne sont pas contents, et prêts à le faire savoir.
Personnellement, je me garderai bien de vous donner un avis sur la meilleure localisation de la foire. Je me contenterai de souhaiter bon courage aux édiles municipaux dans les séances de négociation qui s’annoncent vraisemblablement musclées avec les premiers intéressés.
Et puisqu’en ces périodes de vacances scolaires, il faut songer à occuper les gosses, j’en profite pour vous suggérer de les emmener samedi à laGrande Veillée qui, pour sa troisième édition nous propose de venir hanter les rues de Rouen, le 30 octobre, à la rencontre d’artistes invités à y évoquer la mémoire des morts. Ce n’est pas rien, la mort… Une échéance qui nous fait légèrement froid dans le dos quand on y pense – alors on évite de trop y penser. Et pourtant, à Rouen, elle se rappelle à notre bon souvenir presque à chaque coin de rue : les frises macabres de l’Aître Saint-Maclou, le dédale du quartier Saint-Nicaise, le cimetière monumental, les squelettes du Muséum de Rouen, les momies du musée départemental des Antiquités, et puis tous les clochers…
A la ville, à la mort… Pour les artistes, tout cela est une source inépuisable d’inspiration. C’est qu’ils en ont des choses à nous dire, nos morts. Et c’est qu’elle en recèle des trésors, cette ville. Du coup, la Grande Veillée est tout sauf triste ! Imaginée avec une multitude de partenaires rouennais fourmillant d’idées, écrite pour et avec le territoire et ses habitants, elle mélange allègrement les genres et nous invite à la gourmandise. Il y aura du théâtre,de la danse et du cirque, mais aussi des débats, des conférences, des livres, des promenades insolites, des expositions, des films, de la musique, des flammes, et même des étoiles.
Munissez-vous de vêtements chauds et d’un parapluie (on ne sait jamais), de bonnes chaussures, d’une lampe de poche (ça peut toujours servir), et préparez vous à arpenter les rues de Rouen de midi à minuit. Vous passerez d’un jardin à une cour, d’un théâtre à une église, de l’ombre à la lumière, du rire aux larmes.
Ne venez pas seuls, amenez vos fantômes et faites leur faire la balade avec vous. Car n’oubliez pas, la mort, c’est la vie !
Vous pouvez retrouver cette chronique ainsi que les liens vers les sources que j’ai citées sur mon blog laureleforestier.com. A mercredi prochain pour une nouvelle chronique et d’ici là, gardez les yeux et les oreilles ouverts et joyeux Halloween !
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