Bonsoir Manu, bonsoir Malik, bonsoir à vous toutes et tous, auditrices et auditeurs d’HDR. Pour cette 9e chronique du Speedball, dédiée aux accrocs de la politique et d’internet, je vous embarque pour un voyage entre la pointe du Cotentin et le Nord de l’Allemagne, un voyage en train.
Un train pour un convoi très spécial, genre Salaire de la Peur qui durerait des millions d’années. Au départ de La Hague, 11 wagons plombés transporteront des CASTOR vers Gorleben en Allemagne. Dit comme ça, Castor, ça parait plutôt gentil. En fait, c’est l'acronyme de cask for storage and transport of radioactive material. Et si je vous le dis en allemand, Behälter für Lagerung und Transport radioaktiven Materials, tout de suite ça jette un froid… En français, comprenez containers pour le stockage et le transport de matériaux radioactifs.
De nombreux pays dont l’Allemagne, envoient leurs déchets nucléaires au centre de retraitement de La Hague dans la Manche. Après avoir été traités, les éléments les plus radioactifs y sont fondus dans du verre et déposés dans des containers spéciaux, nos fameux CASTORS. Les CASTORS sont ensuite envoyés dans des centres de stockage temporaire. A Gorleben, en Allemagne, c’est un hangar de dépôt qui sert à cet effet.
Les 5 et 6 novembre prochains, un train convoyant onze conteneurs, également appelés CASTORS, va donc traverser la France d’ouest en est, puis une partie de l’Allemagne. Acheminés en camion de la Hague à Valognes depuis le 25 octobre, ils quitteront la Manche vendredi 5 novembre pour être transportés, en train, jusqu'en Basse-Saxe. À l'arrivée, ils seront à nouveau chargés sur des camions, pour rejoindre le site de Gorleben où ils seront entreposés, en attente d'un stockage définitif. Ce « train d'enfer » constituera le transport le plus radioactif connu à ce jour dans le monde. Ce transport comporte des risques, il est pourtant tenu secret. Les rayonnements radioactifs émis par les onze conteneurs CASTORS entraînent un risque d’irradiation des cheminots et des riverains. Comme tout transport de matières radioactives, ce convoi présente également des risques en termes de sûreté et de sécurité. Et pourtant, les autorités ne fournissent aucune information sur ce type de transport. Elles taisent également sa dangerosité pour les riverains, la population et les salariés impliqués.
Mais il y a pire. Parce qu’à ce jour, aucun pays, n'a trouvé de solution pour le devenir de ces déchets qui, pour certains d'entre eux, demeureront toxiques pendant des millions d'années, et dont la gestion pose d'énormes problèmes à l'industrie nucléaire. Ainsi, en Allemagne, on a stocké des déchets de bien moindre dangerosité entre 1967 et 1979 dans la mine de sel d’Asse II, en Basse-Saxe, dans la région de Brunswick : 126 000 barils de déchets nucléaires entreposés, dont 1 300 fûts de déchets de moyenne activité. Aujourd’hui, les autorités de surveillance du nucléaire recommandent l’évacuation rapide de ces 126 000 barils car la mine de sel de Basse-Saxe est rongée par les infiltrations. Depuis des décennies, 12 m3 d’eau, soit 12 000 litres, ruissellent en moyenne, chaque jour, sur les parois de la mine de sel. La montagne exerçant une pression gigantesque, certaines galeries s’effondrent. Des barils, encastrés dans le sel, ont été endommagés sans que l’on sache précisément lesquels, contaminant la saumure. Ce qui se passe confirme ce que les écologistes assurent depuis belle lurette dans la région. La saumure qui ruisselle vers le fond de la mine peut être radioactive dans des proportions qui dépassent jusqu’à dix fois la norme. Recueillie dans une « piscine » à plus de 500 mètres de profondeur, elle est évacuée vers la surface. Mais les infiltrations régulières pourraient provoquer une inondation qui serait fatale. Une vraie « catastrophe nucléaire ». La nappe phréatique contaminée rendrait la région voisine inhabitable. Les autorités se renvoient la balle des responsabilités. Le bureau des mines du Land, au courant du danger, n’aurait pas jugé utile de sonner l’alarme au ministère de l’environnement, qui aurait peu tenu compte de ses observations. Les spécialistes de l’atome et des déchets seraient « tombés de haut » en découvrant l’étendue du désastre. Et pourtant, l’opinion publique n’a rien su ou presque pendant trente ans.
Les CASTORS, transportés par notre fameux train sont d’une plus haute teneur en radioactivité. Il faut en effet distinguer ces déchets «ultimes» des TFA à très faible activité ou même des MAVL (Moyenne Activité à Vie Longue). Pour écrire ce billet, j’ai pris le soin de bien me documenter. Quand on tape une recherche sur le traitement des déchets nucléaires, on commence par tomber sur une pléthore d’articles bien lénifiants et rassurants qui nous assurent que 96% des déchets à vie longue sont recyclables et réutilisables. Oui, le lobby pro-nucléaire est très actif sur le net ! Restent les 4% de déchets dits «ultimes», qui concentrent à eux seuls 95% de la radioactivité avec une durée de vie qui, à l’échelle humaine, s’apparente à l’éternité : 700 millions d’années. Ces déchets vitrifiés entreposés sont dans l’attente du moment où la recherche aurait trouvé le moyen de les traiter, de réduire leur dangerosité et leur durée de vie. Un drôle de pari sur l’avenir qui a comme présupposé une foi aveugle en la science et sa capacité à résoudre tous les problèmes qu’elle a elle-même généré…
Mais revenons à notre train omnibus entre La Hague et Gorleben qui suscite une mobilisation sans précédent en Allemagne. La population allemande est extrêmement hostile à l’arrivée de ce train et devrait se mobiliser très massivement à partir du weekend end prochain. De grandes manifestations sont prévues à l'occasion du passage du convoi de déchets. Les élus Verts appellent à bloquer les rues pour empêcher ces transports. Quelque 30 000 manifestants sont attendus autour de Gorleben pour «organiser la résistance».
Les anti-Castor allemands se sont rendus célèbres dans les années 1990 en s'enchaînant sur les voies ferrées, n'hésitant pas à couler leurs chaînes dans le béton pour empêcher le passage des convois de déchets atomiques. Ils ont d'ores et déjà annoncé leur intention de saboter les chemins de fer, en retirant les pierres entre les rails, pour paralyser le transport de déchets allant à l'usine de retraitement de Gorleben, prévu le 6 novembre. Un groupe opposé à cet acheminement a d’ailleurs revendiqué mardi un acte de sabotage qui perturbe le trafic sur le réseau ferré berlinois.
En France aussi, on se mobilise. Greenpeace et le réseau « Sortir du nucléaire » ont rendu public vendredi dernier les trajets potentiels du convoi jusqu’à la frontière française et les horaires du train. Afin de faire toute la lumière sur ce type de transport, et de dénoncer l'impasse que constitue le recours à l'électricité d'origine nucléaire, ils appellent à des mobilisations tout au long du trajet. Ils organisent des rassemblements dans six grandes villes : Caen, Rouen, Amiens, Arras, Nancy et Strasbourg.
Les élus régionaux Europe Ecologie (dont je fais partie) de Basse et Haute-Normandie, Picardie, Nord-Pas de Calais, Champagne-Ardenne, Lorraine et Alsace, autant dire toutes les régions traversées par le convoi, ont publié ce matin un communiqué de presse où ils constatent une fois de plus le déni de démocratie qui accompagne l'industrie nucléaire française et le mépris dans lequel les pouvoirs publics et les acteurs de la filière nucléaire tiennent nos concitoyens. Ils soutiennent toutes les initiatives associatives non violentes qui jalonneront le parcours du convoi entre le 5 et le 6 novembre et qui contribuent à sensibiliser les populations aux dangers inhérents à la production d'énergie nucléaire.
De tout cela, nous ne saurions à vrai dire rien si Greenpeace et le Réseau Sortir du nucléaire ne nous en avaient informés ; du côté du gouvernement, c'est le silence. Ces déchets vont d'un endroit où on ne sait quoi faire de ceux qui s'y trouvent, la Hague, vers un endroit où on les stocke en surface, Gorleben, sans savoir qu'en faire. Il était prévu de les enfouir, mais cela se révèle impossible, pour des raisons aussi bien géologiques que politiques- le refus déterminé d'une majorité des citoyens allemands. Cette impasse n'est propre ni à la France ni à l'Allemagne : aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, on ne sait quoi faire des déchets nucléaires, dont la radioactivité durera des milliers d'années. Pourtant, presque tous les gouvernements encouragent la "renaissance du nucléaire", en repoussant aux petits-enfants le soin de se débrouiller avec ce tas de déchets.
Refus d'envisager les économies d'énergie, refus de reconnaître qu'il n'y a pas aujourd'hui de réponse à la question des déchets nucléaires : nous filons tel un train ivre dans la nuit épaisse, en feignant de croire qu'il n'y a pas de terminus et que le voyage ne s'arrêtera jamais. Mais les passagers sont-ils bien d'accord avec les chauffeurs de la locomotive ?
Vous pouvez retrouver cette chronique ainsi que les liens vers les sources que j’ai citées sur mon blog laureleforestier.com. A mercredi prochain pour une nouvelle chronique et d’ici là, gardez les yeux et les oreilles ouverts et sachez que le réseau associatif STOP EPR organise une protestation à l'occasion du passage du train, vendredi 5, entre 18h et 20H, devant la gare SNCF de Sotteville les Rouen.
Commentaires