BonsoirDjalil, bonsoir Mansour, bonsoir à vous toutes et tous, auditrices et auditeurs d’HDR. Pour cette 10e chronique du Speedball, dédiée aux accrocs de la politique et d’internet, voyageons dans le temps pour revenir près d’un siècle en arrière.
Demain, c’est le 11 novembre qui évoque d’abord pour beaucoup d’entre nous l’idée d’un jour férié qui tombe opportunément un jeudi et permet l’occasion d’un pont de 4 jours. Mais c’est avant tout une date qui commémore la fin de la grande boucherie que fut la première guerre mondiale.
L’armistice est signée le 11 novembre 1918 à 5h15 et marque la fin des combats et la capitulation de l’Allemagne. Le cessez-le-feu est effectif à la 11e heure du 11e jour du 11e mois. C’est la fin d’une guerre qui aura laissé plus de huit millions de morts et six millions d’invalides ou de mutilés.
Voici les ordres du général Lebouc, commandant de la 161e Division d’Infanterie à ses troupes :
La Division peut être appelée à pénétrer incessamment en territoire alsacien.
Bien que le Général ne pense pas devoir insister sur l’attitude qu’il conviendra d’observer, car elle est comprise par tous les hommes, il est nécessaire d’attirer l’attention sur certains points.
Nous serons accueillis à bras ouverts, à n’en pas douter. Il n’en est pas moins indispensable que la troupe donne une impression d’ordre c’est à dire de force à une population qui est habituée depuis 47 ans à la rigidité allemande devant laquelle nous produirions le plus fâcheux effet si nous nous présentions avec du relâchement.
L’homme devra donc en toutes circonstances avoir une tenue correcte et même soignée : le soldat Français doit être un beau soldat.
La troupe devra partout se présenter dans le plus grand ordre, qu’il s’agisse d’un simple détachement de corvée ou d’une unité constituée. Les paquetages devront être particulièrement soignés. Les musiques, les tambours et les clairons seront fréquemment appelés à jouer ; il faudra qu’ils se surveillent.
Les équipages devront être parfaitement tenus, le harnachement reluisant, les chevaux toilettés.
En un mot le Général fait appel à l’excellent esprit et au bon sens de tous pour que nous donnions, en pénétrant dans la plaine d’Alsace, l’impression que nous revenons, en vainqueurs, dans nos propres foyers.
Le soldat Français doit être un beau soldat… Petit rappel :
Avec la Grande Guerre, pour la première fois dans l'Histoire de l'humanité, des peuples entiers ont été entraînés au combat par des généraux peu soucieux du sang versé. Le conflit a connu les excès habituels à toutes les guerres : viols et assassinats de civils. Mais il s'est signalé aussi par la disparition du code de l'honneur habituel aux guerres européennes. C'est ainsi que l'on n'a pas hésité à bombarder des ambulances et achever des blessés. Il n'a plus été question de trêves comme par le passé pour ramasser les blessés.
51 mois de guerre totale se soldent par un bilan humain catastrophique pour l'Europe. La Grande Guerre aura mobilisé un total de 65 millions d'hommes, dont 8 millions de Français, et fait plus de 8 millions de morts au combat. Aux morts des champs de bataille s'ajoutent plus de 20 millions de blessés et de mutilés. N’oublions pas non plus que parmi nos 8 millions de soldats se trouvaient 565 000 soldats des colonies enrôlés sous le drapeau français.
Quand Tardi illustre le Voyage au bout de la nuit de Céline
On les appelés les poilus, ces soldats condamnés à une guerre de tranchées, bloqués dans l’horreur du front, coincés entre les lignes ennemies et les ordres de monter à l’assaut pour gagner cent mètres de terrain repris dès le lendemain par l’adversaire. Si vous vous en souvenez, le dernier témoin, Lazare Ponticelli est mort en mars 2008 âgé de 110 ans.
Des témoignages de la vie des poilus, j’en ai trouvé à foison sur le net. Tenez, celui-ci, extrait des carnets de guerre d’un soldat du 155e régiment d’infanterie, 7e d’artillerie dans les premiers jours de la bataille de Verdun :
Secteur de Cumières, Verdun, mars 1916
« ...La deuxième nuit, notre chef de section, l'adjudant MAX, un alsacien, nous propose d'essayer de faire des prisonniers. L'opération consistait à attaquer un poste avancé ennemi par surprise. Nous sommes partis au début de la nuit, presque au départ, l'un de nous a marché sur un tas de grenades. L'une a explosé, il y a eu un mort et des blessés. Il faisait noir comme dans un four, nous avons commencé à marcher sur des cadavres. Quand il y avait une fusée éclairante, nous nous fichions à plat ventre, les tranchées étaient complètement bouleversées. Là, il y avait une baïonnette qui sortait de terre, à côté, il y avait une main, plus loin c'était un pied et une tête des cadavres déformés, hachés, si bien qu'aussitôt, la fusée éteinte, nous ne pouvions pas faire autrement que de marcher dessus... »
Considérée comme l'une des plus grandes batailles de l'Histoire, Verdun, verra périr au cours de l’année 1916 quelque 300.000 Français et Allemands. 800.000 autres seront blessés, c’est l'une des grandes tueries de la guerre devenue industrielle.
La ténacité et le courage des poilus dans les tranchées de Verdun, magnifiés par la propagande, vont créer la légende de Verdun. Cette bataille, qui fut davantage une défaite allemande qu'une victoire française, est restée dans l'imaginaire des Français comme le symbole de l'héroïsme des poilus.
"Nous vivons sur un immense charnier", écrivait un soldat français à sa femme. "Ne me demande pas comment, ne me demande pas pourquoi".
Verdun résume et symbolise les souffrances extrêmes et les sacrifices des poilus dans leur durée, et pour ainsi dire, dans leur épaisseur. Mais ce n'est pas seulement l'épreuve qui se trouve ici commémorée, c'est le fait qu'elle ait été acceptée. La guerre est si loin de nous que nos contemporains comprennent mal que les soldats de 1916 aient pu tenir dans ces conditions extrêmes.
L’une des explications est que les soldats ont obéi par crainte de la maréchaussée et des conseils de guerre ; ils ont été conditionnés par un redoutable appareil de coercition. La répression fut effectivement sévère : les conseils de guerre ont prononcé 2.200 condamnations à mort pendant la guerre, et 550 ont été exécutées, soit plus que dans l'armée allemande.
En voici un exemple : Gustave Henry HERDUIN commandait une compagnie du 347ème régiment d'infanterie devant Verdun au début du mois de juin 1916. Le 8 juin, son unité doit faire face à une attaque allemande très meurtrière. Au cours de cette attaque, sa compagnie et celle du sous-lieutenant Pierre MILLANT, perdent la moitié de leurs effectifs et se retrouvent sans ravitaillement, à court de munitions et coupées de toute communication avec l'arrière, à tel point que l'artillerie française, croyant que leur position avait été prise par l'ennemi, la pilonne, tuant la moitié des survivants.
La nuit venue, les deux officiers se résignent à se replier et rejoignent avec leurs hommes une caserne de Verdun pour s'y reposer un peu avant de remonter en ligne. Le 11 juin 1916, à Fleury-devant-Douaumont, les sous-officiers HERDUIN et MILLANT, sont exécutés sans jugement pour abandon de poste.
A l’aube de son exécution, voici la lettre que Gustave Henry Herduin écrivait à son épouse :
« Ma petite femme adorée,
Nous avons, comme je te l'ai dit, subi un échec, tout mon bataillon a été pris par les Boches, sauf moi et quelques hommes, et maintenant on me reproche d'en être sorti, j'ai eu tort de ne pas me laisser prendre également. Maintenant, le colonel Bernard nous traite de lâches, les deux officiers qui restent, comme si à trente ou quarante hommes, nous pouvions tenir comme huit cents. Enfin, je subis mon sort, je n'ai aucune honte, mes camarades qui me connaissent savent que je n'étais pas un lâche. Mais avant de mourir, ma bonne Fernande, je pense à toi (et chacun sait que lorsque l’on pense à Fernande…) et à mon Luc. Réclame ma pension, tu y a droit, j'ai ma conscience tranquille, je veux mourir en commandant le peloton d'exécution devant mes hommes qui pleurent. Je t'embrasse pour la dernière fois, comme un fou : Crie, après ma mort, contre la justice militaire, les chefs cherchent toujours des responsables ; ils en trouvent pour se dégager. Mon trésor adoré, je t'embrasse encore d'un gros baiser, en songeant à tout notre bonheur passé, j'embrasse mon fils aimé, qui n'aura pas à rougir de son père qui avait fait son devoir. Dire que c'est la dernière fois que je t'écris. Oh ! Mon bel ange, sois courageuse, pense à moi, et je te donne mon dernier et éternel baiser. Ma main est ferme, et je meurs la conscience tranquille. Adieu, je t'aime.
Au lendemain de la guerre, l’affaire suscitera une enquête de la Ligue des Droits de l’Homme, à la demande de la veuve du sous-lieutenant Herduin. La réhabilitation posthume des sous-lieutenants Herduin et Millant a été prononcée par un arrêt de la cour d’appel de Colmar le 20 mai 1926.
Il n’était pas très gai ce billet, à l’image du temps… Vous pouvez le retrouver ainsi que les liens vers les sources que j’ai citées sur mon blog laureleforestier.com. A mercredi prochain pour une nouvelle chronique et d’ici là, gardez les yeux et les oreilles ouverts et faites l’amour, pas la guerre !
Film de guerre contre la guerre, voir ou revoir "Les Sentiers de la gloire" (Paths of Glory) de Stanley Kubrick. Sorti en 1957, la censure française ne sera levée sur ce film qu'en 1975.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Sentiers_de_la_gloire
Rédigé par : Le Major | 11 novembre 2010 à 18:32