La guerre démarre à Rouen comme
partout ailleurs en France. En août 39, arrivent les premières mesures de
défense passive : masques à gaz, réduction de l’éclairage, aménagement des
abris. Le 2 septembre, l’ordre de mobilisation générale est affiché. En
septembre toujours, on démonte les vitraux des églises, on protège les statues.
On achemine vers le château de Carrouges dans l’Orne les œuvres les plus
précieuses des musées, bibliothèques et archives. Octobre voit le début des
restrictions alimentaires. Et la drôle de guerre s’installe. Voici comment
André Maurois décrit Rouen lors d’un passage en avril 40 :
La rue Grand-Pont était, comme à son ordinaire, grouillante et bonne
marchande. Je pris plaisir à faire admirer par mon chef les trésors des
monuments rouennais. (Il acccompagne alors un général britannique venu
inspecter les bases.)
En mai 40, Hitler attaque le
front nord, les troupes alliées en déroute et les populations en exode ne
tardent pas à affluer.
Dès qu’Abbeville eut été pris, Rouen fut en mortel danger. Dans la
dernière semaine de mai 1940, la ville entra dans la zone des armées. Par
précaution, théâtres et cinémas furent fermés. Jetées par les avions allemands,
des bombes isolées tombèrent entre Rouen et Elbeuf, aux Essarts, à Orival. Au
début de juin, la marée des réfugiés atteignit la Normandie.
Il reste cependant plus de
quarante mille habitants dans la ville. Une partie du conseil municipal, le
maire en tête, traverse la Seine. Les
troupes anglaises ont mis le feu aux raffineries de pétrole de la rive gauche.
Incendie des raffineries de Grand
Couronne [2]
Les flammes illuminaient les cieux. De monstrueuses colonnes de fumée
montaient en volutes noires et blanches. Puis un nuage de suie, résidu de cet
incendie géant, enveloppa la ville. Il allait, poussé par le vent, remonter
jusqu’à Paris et y créer le lendemain l’impression que se développait une
attaque par quelque gaz inconnu. [1]
Le 9 juin au matin les premiers Allemands arrivent sur Rouen par la route de Neufchâtel.
Etat-major allemand rue d'Ernemont [2]
A 10 heures du matin, le génie
français fait sauter les ponts. A 10h30, les Allemands investissent la Mairie. Maurice
Poissant, 5e adjoint au Maire, demeuré sur place, reçoit autorité
par le commandant Krupp sur toutes les communes liées économiquement ou
géographiquement à Rouen, soit 17 qui conservaient cependant leur autonomie
administrative interne. Un grand Rouen de 290 000 habitants est ainsi créé
provisoirement. Nommé maire de Rouen par les Allemands, Maurice Poissant
demeurera à ce poste jusqu’au 2 avril 1943, date à laquelle il démissionnera de
ses fonctions. Il sera arrêté et déporté le 29 juin 1943. Voici un extrait du
rapport mensuel du Préfet au Chef du Gouvernement : Les autorités allemandes ont exigé le départ de M. Poissant, maire de
Rouen, qui m’a remis sa démission. Elles reprochaient à M. Poissant de tolérer,
à la Mairie
Les Allemands investissent la
ville.
Ce fut alors que prit place un épisode étrange et chevaleresque. Un char
léger français, un seul était resté rive droite, au bas de la rue de la République. Soudain,
il se jeta au-devant de la colonne allemande qui balayait le trottoir de
rafales de mitraille, et, pour l’honneur, l’attaqua. La rencontre eut lieu,
symboliquement, à la hauteur de la rue Alsace-Lorraine. Quelques secondes plus
tard, le char français, dont tous les occupants furent tués, flambait, mais le
premier char allemand avait fait explosion et brûlait, lui aussi. [1]
Incendie au bas de la rue de la République. Au
premier plan, une chenillette de reconnaissance allemande. [2]
L’incendie déclenché se propage rapidement aux quartiers situés au sud de la cathédrale. Les Allemands, au prétexte que Rouen n’a pas été déclarée ville ouverte, interdisent aux pompiers d’intervenir. Le feu fait rage pendant trois jours. Ce n’est que le 11 juin que l’ordre sera donné d’éteindre l’incendie alors qu’il menaçait le flanc sud de la cathédrale. Bilan : 918 maisons détruites, 5 070 sans-abris. Ce même jour, les Allemands ramassent tous les noirs qu’ils peuvent trouver ainsi que des soldats coloniaux isolés, qui, n’ayant pu fuir, ont été faits prisonniers de guerre. Tous ces hommes sont emmenés au 11, rue de Bihorel où ils sont massacrés à la mitrailleuse. 121 Algériens, Antillais et Africains ont ainsi trouvé la mort.
Spectacle de désolation au pied
de la cathédrale [2]
[1] : Rouen dévasté André Maurois
[2] : Rouen sous l’occupation Patrick Coiffier photos Bundesarchiv
Autres sources
bibliographiques :
Rouen désolée R.G. Nobécourt
Rouen et sa région pendant la guerre 1939- 1945 G. Pailhès
La fin de l'article est terrible, horrible...je ne connais rien de cette époque à Rouen. Je découvre et c'est affreux...
Surtout continue avec ces articles. C'est une formidable idée. Seulement, les articles culturels (historiques) font moins causer mais c'est pas grave. Tout cela est d'intérêt public.
Bien à toi.
Rédigé par : Monsieur Julien | 16 avril 2008 à 21:27
@ Monsieur Julien :
Ravie que cela te plaise. C'est vrai que ça fait moins causer, mais ça me passionne de revivre toute cette aventure en la racontant ici. Et j'ai de la matière, je continue au rythme d'un billet par jour. Dans le genre histoires terribles, tu n'as encore rien vu, le pire est à venir.
Bien à toi
Rédigé par : Laure Leforestier | 17 avril 2008 à 00:01
Un autre livre très intéressant raconte cette journée tragique en détail : "Ce jour-là : Rouen, dimanche 9 juin 1940" de Marc Boulanger.
Rédigé par : Noisette | 17 avril 2008 à 08:51
Dans "17 août 1942, Objectif Rouen", une tentative d'explication "militaire" est donnée à l'incendie des quartiers Sud : des soldats français et britanniques, potentiellement dangereux, se seraient cachés dans le dédale des ruelles étroites, et c'est pour ne pas prendre de risques inutiles que les Allemands auraient laissé la ville brûler.
Rédigé par : Noisette | 17 avril 2008 à 09:14
D'ailleurs, à ce sujet, j'ai une question pour vous, Laure : sur un immeuble de la rue Saint-Denis, il est écrit "îlot René Dufour, hommage des sinistrés". Malgré mes recherches, je n'ai pas réussi à trouver qui était ce René Dufour. Peut-être allez-vous pouvoir m'éclairer ?
Rédigé par : Noisette | 17 avril 2008 à 09:23
@ Noisette :
A propos de l’incendie, voici ce qu’en dit André Maurois : « Les Allemands allaient soutenir que l’exposion de ces deux chars avait la seule cause de l’épouvantable incendie, qui, en ces jours de juin 1940, détruisit le quartier antique et merveilleux. Cette thèse ne peut être sérieusement défendue. Les foyers d’incendie ont été alors trop nombreux pour que la catastrophe n’ait pas été voulue. Beaucoup de témoins ont vu les Allemands fixer aux maisons les plaques incendiaires qu’ils ont employées en tant d’autres villes. »
Je n’ai pas repris cette thèse car je la sais controversée. Quant à René Dufour, je sèche.
Rédigé par : Laure Leforestier | 17 avril 2008 à 13:23
Pas de trace non plus de René Dufour dans les livres que je possède,désolée!
Les allemands ont laissé bruler la ville un certain temps avant de laisser intervenir les pompiers, qui n'avaient que peu d'eau,mais je n'ai pas retrouvé la "thèse" de l'incendie volontaire en plus...mais qui sait????
Rédigé par : Florence | 21 avril 2008 à 21:41
l'incendie a peut-être éclaté accidentellement (thèse officielle) mais il est certain que les allemands ont volontairement développé cet incendie. Il s'agit d'une pratique continue des allemands à cette époque. Il s'agissait de terroriser la population pour la lancer sur les routes en vue de désorganiser les transports des armées françaises et anglaises.
Rouen a été en quelque sorte punie de ne pas avoir été déclarée ville ouverte.
Rédigé par : Jacques Tanguy | 25 mai 2011 à 12:40