En préambule à ce billet sur le roman interminable du Palais des Congrès, de sa destruction et de son remplacement, je pense utile de préciser que je ne me situe pas à l’instar d’autres blogs dans l’opposition municipale. Je me contente d’un regard attentif et avisé sur le sujet. Pour avoir voté pour la liste de Valérie Fourneyron en mars 2008, dans l’espoir qu’elle porterait un projet novateur et ambitieux pour Rouen, je m’autorise ici un avis sévère sur sa manière de mener ce dossier, réduit aujourd’hui à la plus misérable expression architecturale dans le but de satisfaire la rouennerie ambiante. Il faudra, mais à un autre moment, que je vous décrive par le menu toute la saga, toutes les erreurs politiques, de la précédente équipe municipale comme de celle-ci et de l’instrumentalisation odieuse qui en a été faite.
Je me contenterai pour l’instant de vous raconter la réunion à laquelle j’ai assisté hier soir, au premier étage de l’Office de Tourisme, réunion publique dont le but était de présenter ce projet à la population rouennaise après sa présentation la semaine dernière à la presse. C’était assez confidentiel puisqu’on y voyait peu de visages inconnus mais plutôt une grosse foule d’adjoints socialistes, de membres du cabinet et de quelques membres de l’opposition. Moins d’une centaine de personnes en tout.
A l’entrée, on distribue des exemplaires tous frais du dernier Rouen Magazine bien évidemment consacré à ce fameux projet. Autour de la Maire de Rouen, le directeur régional des affaires culturelles, l’architecte Jean-Paul Viguier et le représentant des promoteurs. Une belle brochette qui va nous expliquer, chacun son tour, l’intérêt de ce nouveau bâtiment.
Quelques éléments m’agacent dans le discours de Valérie Fourneyron, particulièrement ces accents démagogues qui tentent de nous convaincre que le précédent projet correspondait à une « privatisation » (le mot est très à la mode) de l’édifice et que désormais, grâce aux modifications apportées, les Rouennais vont pouvoir se l’approprier et que l’on est bien conforme aux désidératas exprimés lors de la grande « consultation citoyenne ». Tout cela grâce à la fenêtre, la « chambre de verre qui permettra aux visiteurs de prendre un peu de hauteur pour observer la ville ». L’argument est assez pathétique surtout dès qu’il est examiné d’un peu plus près. A la question d’une dame dans l’assistance (future copropriétaire ?) s’inquiétant de l’accès à ce lieu, serait-il commun aux parties privatives, il lui est répondu que des visites seront organisées par l’Office de Tourisme. Traduisez : il vous faudra payer pour accéder à la vue, sauf peut-être lors des Journées du patrimoine…
Jean-Paul Viguier, tente à son tour de nous convaincre des « valeurs permanentes de l’architecture ». C’est pitié d’entendre cet homme de l’art, réputé pour être l’architecte de la transparence, nous vanter son parement de pierre de 8 cm d’épaisseur en grand appareil vertical. Pas sûre qu’il soit si fier de ces nouveaux plans, car lorsque l’on consulte son site, c’est toujours l’ancienne esquisse qui est visible !
Au tour du DRAC qui lui, biche grave. Pensez ! Aux Monuments Historiques, ils détestent l’architecture contemporaine, alors ce machin en pierre plaquée, même qu’il pourra donner ses recommandations sur le type de pierre, bien discret, bien fondu dans son environnement a tout pour lui plaire. D’ailleurs ce nouveau projet n’aura pas besoin de repasser devant les fourches caudines de la Commission Nationale Supérieure des Monuments Historiques. Et puis l’Etat (avec un fond de concours de la Ville dont on ignore le montant à ce jour) va aménager le jardin de la cour d’Albane. Scoop ! Voilà 15 ans que ce projet est dans les cartons et c’est le même qu’on nous ressort. Pour 2 millions d’euros, nous aurons droit à un truc à deux niveaux. En bas, on va aller chercher de la belle pierre de taille qui coûte fort cher (même pô grave, les architectes en chef assurés d’un monopole touchent un pourcentage sur les travaux) pour nous restituer un cloître en partie végétalisé qui n’a jamais existé. Sur la partie haute, un autre truc avec quatre ou cinq petits espaces délimités par des sortes de haies restituant ainsi l’idée des anciens bâtiments canoniques disparus depuis belle lurette. Lorsque je fais remarquer au Maire que ce projet en l’état avait été rejeté successivement par l’équipe d’Yvon Robert puis par l’équipe de Pierre Albertini car cet espace ainsi conçu sera proprement ingérable en termes de sécurité et de propreté, il m’est aimablement répondu que cela va se retravailler avec l’architecte et le service des espaces verts de la Ville. Accessoirement, Guillaume Grima, adjoint aux espaces verts n’a jamais entendu parler du sujet.
A ce propos, j’aimerais connaître la position du groupe des Verts de la municipalité sur cette affaire. J’ai cru comprendre qu’ils n’avaient jamais été impliqués dans le dossier et qu’ils ont découvert le résultat en même temps que les Rouennais. Leur avis m’intéresse…
Il y avait dans la salle quelques commerçants riverains, inquiets, quant à eux, de la période des travaux et de l’itinéraire qu’emprunteront les camions lors de la démolition. Les bruits les plus fous courent à ce sujet. Il y aurait trois possibilités de cheminement : par la rue saint-Romain, par le parvis de la cathédrale ou par les rues aux Juifs et Saint-Lô. Aucune réponse apportée sur ce sujet, il y aura une grande réunion de concertation avec les intéressés le 5 novembre. J’imagine bien la scène, ce sera « au plus fort la pouque » (vieille expression cauchoise), ce sont ceux qui viendront le plus en nombre et qui gueuleront le plus, qui pourront éviter la noria de camions devant leur pas-de-porte.
Il y a une intervention dans la salle qui m’a particulièrement marquée. Celle de ce vieil antiquaire à la retraite, satisfait car il était présent à la toute première réunion : « J’avais exigé de la pierre, vous en mettez, c’est bien ! ». Et de pousser son avantage en donnant quelques leçons à l’architecte : « Votre terrasse là, j’aime pas trop… Il nous faudrait un toit à la normande ». Eh oui ! A Rouen les élus se couchent devant les plus rétrogrades, cherchez pas à comprendre, c’est comme ça et il n’y a pas de raison que ça s’arrange.
Toute cette réunion s’est déroulée dans une ambiance bien lisse, bien neutre. Il faut dire que le Rouennais est bien élevé et un peu couard. Alors même si certains bouillaient, les discours sont demeurés très retenus. Il ne faudrait néanmoins pas que l’actuelle municipalité se rassure. Certes, elle avait bien verrouillé le déroulement du débat, la communication sur cette réunion s’était faite à minima, il n’empêche que leurs concitoyens ne sont pas dupes de la manipulation dont ils ont été l’objet. Et je n’ai jusqu’à présent pas rencontré de Rouennais satisfaits de ce qui leur a été dévoilé.
Au retour, je chemine avec un architecte et recueille son avis. Il pense que ce dossier est une catastrophe depuis le départ, qu’il y avait là une chance exceptionnelle pour Rouen d’attirer l’attention avec une réelle ambition, que le dossier fut instrumentalisé par Yvon Robert de manière scandaleuse et que le résultat est attristant et désolant. Peut-on se consoler en imaginant que dans le temps, dans vingt ou trente ans, l’affaire sera oubliée et que ce bâtiment sera aussi banal et anodin que les immeubles de la Reconstruction situés sur le côté sud du parvis ?
Je ne saurais terminer cette note sans citer ce cher Félix Pheillon, qui dans son dernier et époustouflant billet a cette intuition :
La municipalité, soutenue par
ses électeurs, donne là la mesure de ses audaces et de sa détermination. Le
renoncement lui est devenu sa façon de décider, voire de gérer. Notez que c’est
rassurant. Comme ça, on sait à quoi s’en tenir. Enfin, on retrouve nos aises.
On est de nouveau en famille, entre nous, entre Rouennais. L’air d’autrefois
est presque revenu. Le jour de l’inauguration du futur immeuble, il faudra
guetter la silhouette de Jean Lecanuet. Parmi les officiels, autour des
géraniums, nous serons nombreux à vouloir le féliciter pour sa bonne mine et sa
pugnacité légendaire.
Comme il existe un style
Louis-Philippe, il existe un style Jean-Lecanuet. Et c’est celui de Rouen.
Impérativement. Définitivement. Qu’on en juge : les Fronts de Seine, les
Jardins de l’Hôtel de ville, le Champ de Mars, l’Espace du Palais… et
maintenant la Villa Yvon (oui, c’est le nom du nouveau projet). Dans tout ça,
rien que du solide, du durable et du cher.
Villa Yvon : à n’en pas douter, ce nom mérite d’être retenu.
Euh j'aimerai bien que vous me laissiez tranquille ma chère dame... Sur ce coup je n'y suis pour rien... Euh pas malin malin le coup de de la mauvaise esquisse sur le site de l'architecte... Peut-être une erreur.. Mais à mon avis c'est volontaire... Bien joué Monsieur Viguier... Les médias devraient reprendre l'info!!!
Rédigé par : le jeannot | 06 octobre 2009 à 21:10
On avait voté pour un jardin, on avait cru être entendu. On voudrait comprendre le pourquoi du changement. Ça laisse un sale goût dans la gorge.
Rédigé par : Ghost | 06 octobre 2009 à 22:06
Merci pour ce billet-debriefing !
Belle synthèse de l'actualité d'une ville qui n'en finit pas de subir cette fameuse malédiction...
Rédigé par : utop_e | 06 octobre 2009 à 22:23
@ le jeannot : je vous ai dérangé de votre sépulture à Saint Georges ? Désolée...
@ ghost : je n'y ai jamais cru au jardin, c'était de la manipulation pré et post électorale. j'aurais l'occasion d'y revenir
@utop_e : si vous avez une idée sur la malédiction, je suis preneuse de toutes les thèses
Rédigé par : Laure | 07 octobre 2009 à 09:33
Sacré commentaire! On peut ne pas être absolument d'accord - cette ancienne obsession anti lecanuetiste... - ce texte force le respect.
Rédigé par : François de Rouen | 07 octobre 2009 à 13:59
"je n'y ai jamais cru au jardin"
Nous si, mais vous n'avez rien dit à l'époque (peu importe, je ne vous fais pas de procès)
Rédigé par : Ghost | 07 octobre 2009 à 14:31
@ ghost : je vous recommande la lecture attentive de ce billet écrit pendant la campagne municipale, contrairement à Yvon et à Valérie, je ne renie rien de ce que j'ai dit : http://laureleforestier.typepad.fr/blog_de_laure_leforestier/2008/02/ce-nest-pas-un.html
Rédigé par : Laure | 07 octobre 2009 à 14:42
Oh alors toutes mes excuses, sincères. Dans un sens tant mieux ça donne aux lecteurs l'occase de se rafraichir la mémoire (comment tenté-je vainement de me rattraper)
Rédigé par : Ghost | 07 octobre 2009 à 17:40
Bien que pertinent, votre analyse de ce débat passe sur votre intervention, empreinte de votre toute nouvelle conversion verte avec ses avantages mais aussi ses inconvenients...
Rédigé par : voilier | 08 octobre 2009 à 07:08
@ voilier : apprenez à lire car ce billet est très explicite sur mon intervention sur le jardin et la réponse qui m'est apportée. quant à ma "conversion verte" comme vous dites, continuez l'apprentissage de la lecture en consultant ce blog, vous verrez que mes convictions à ce sujet ne datent pas d'aujourd'hui...
Rédigé par : Laure | 08 octobre 2009 à 08:53
@ghost
Vous ne pouvez pas dire que vous n'aviez pas été averti de la supercherie.
J'avais tiré le signal d'alarme sur la manipulation organisée par Mme Fourneyron (via Mr Robert)dès 2006.
Ce qu'ils prétendaient était impossible et ils le savaient très bien !!
http://edgarmenguy.over-blog.com/article-4462462.html
Rédigé par : Edgar Menguy | 08 octobre 2009 à 10:05
l'avis des verts de rouen sur la question:
http://lesvertsderouen.zeblog.com/419582-espace-monet-cathedrale-un-enthousiasme-tres-modere/
cdl sm
Rédigé par : sm | 08 octobre 2009 à 18:32
Il faut me pardonner Edgar mais des gens comme Devaux ou vous n'avez pas la crédibilité nécessaire pour être tout à fait convaincants. Ne le prenez pas mal, mais, déjà vous êtes de droite d'une façon un peu frivole, et en plus, bon, c'est vous quoi.
Ne le prenez pas mal, vous m'êtes très sympathique. Mais bourge de droite. Mais sympathique.
Vouala.
Rédigé par : Ghost | 08 octobre 2009 à 21:19
Comme d'habitude, merci de ce bel état de la question :-)
Effectivement, le projet nouveau risque de faire l'effet du beaujolais. Il parait nouveau, mais est presque comme celui de l'an passé (les immeubles de la reconstruction au sud du parvis) et dans 10 ans on ne fera plus la différence. Raisonnons en temps long avec un peu d'imagination, dans 50-100 ans on démolira tout d'un coup pour en faire autre chose.
Quand au jardin et le sous-marin Musée de l'Oeuvre, vu les budgets de l'Etat Culture, j'ai des doutes !
Rédigé par : Swinghil | 11 octobre 2009 à 21:52