Porte d’abri dans une cave à Rouen. Photo envoyée par une
lectrice (merci Florence !)
L’objectif des Alliés, juste avant le 6 juin, est de
détruire tous les ponts sur la
Seine et la
Loire. Pendant une semaine, du 30 mai au 4 juin inclus, Rouen
va à nouveau connaître l’horreur. On appelle ces journées tragiques "la Semaine Rouge". Le 30 mai, les escadrilles viennent survoler la ville par
vagues successives à partir de 11h15 du matin. Les superforteresses sont
chargées à bloc de bombes de gros calibres, 500, 1 000 et 2000 kg. Le pilonnage dépasse en intensité celui du 19 avril. Le
palais des Consuls, construit en 1734 est détruit ainsi que la Bourse du commerce. L’Hôtel
des douanes est au trois-quarts écroulé. Plusieurs incendies se propagent dans
la ville depuis le quai jusqu’à la rue du Petit Salut, depuis la rue grand-Pont
jusqu’à la rue Jeanne d’Arc, puis jusqu’à la rue Saint-Eloi et la place du
Vieux Marché. Le Théâtre des Arts est atteint mais pas encore détruit. Les
églises Saint Etienne des Tonneliers et Saint Pierre du Châtel sont gravement
touchées. Rive gauche, tout le quartier entre le quai Saint-Sever, la rue
Lemire et la rue Lafayette, est réduit en cendres. Les victimes sont nombreuses
mais il n’est guère possible de les dénombrer. Devant l’imminence de nouveaux
dangers, on ordonne d’évacuer la rive jusqu’à 500 mètres en
profondeur.
Pompiers à l’œuvre dans les ruines de l’église Saint-Vincent
[1]
Le 31 mai, à 11h10, les escadrilles font une nouvelle
apparition, elles se succèdent en trois vagues comme la veille. L’église
Saint-Vincent s’écroule. Au Vieux Marché les dégâts sont considérables. Les
bombes détruisent l’ancienne église Sainte-Marie-la-Petite, siège de la synagogue.
Dans l’abri des Douanes, plus de deux cent personnes périssent noyées à la
suite de la rupture de la conduite des eaux.
Un séminariste que
je connaissais bien, était coincé dans l’abri et pouvait correspondre avec
l’extérieur par un tuyau de descente. Alors il disait « Je suis là, l’eau
monte ». En effet, il y avait l’eau des égouts, l’eau de la Seine à cause des
canalisations crevées… En plus, comme il y avait des immeubles en feu, les
pompiers arrosaient et l’eau redescendait à la cave… Le bombardement a eu lieu
vers 11 heures du matin et lui, il est mort noyé à 18 heures… Jean, 16 ans. [2]
Les employés des
banques étaient tenus par les échéances des effets de commerce en fin de mois.
Mes parents sont donc partis ce matin-là pour le Crédit Lyonnais, comme tous
les matins. A 11 heures, l’alerte a retenti, et vers 11h45, il y avait,
avons-nous appris plus tard, 130 avions sur la ville. (…) Vers 12h30, l’alerte
était finie, et mon frère et moi nous étions à la fenêtre de la rue du Renard,
au 2e étage, chacun à une fenêtre, pour guetter les silhouettes qui pouvaient
arriver de la place Cauchoise. Nous ne pleurions pas, nous étions inquiets,
forcément, mais nous mettions tous nos espoirs dans un retard… Nous avons
évidemment commencé à comprendre quand nous vîmes passer un couple de collègues
de mes parents qui ont préféré nous dire d’en bas, comme ça, qu’ils ne savaient
pas. Un peu plus tard, ma tante, rescapée est retournée sur place, elle est
revenue en début d’après-midi en nous annonçant la catastrophe… le lendemain
matin, je me suis éveillé et là, pendant deux secondes j’ai cru que j’avais
rêvé. Et que non, c’était un cauchemar de la nuit, et puis je me suis dit non,
ce n’est pas vrai. Jacques,
12 ans. [2]
Le Théâtre des Arts est cette fois ci définitivement
détruit, tout comme le Café Victor. Le pont Boieldieu (reconstruit par les
Allemands) n’est pas définitivement hors de cause. Dans Saint-Sever, il ne
reste plus rien du quai Cavelier de la
Salle, ni rien depuis ce quai jusqu’au cours la Reine. L’incendie, allumé
par le bombardement de la veille s’intensifie et gagne partout. Tout le bas de
Rouen n’est qu’un immense brasier.
Flammes dans la tour Saint-Romain [1]
Le 1er juin, vers 18h45, une fumée légère apparaît sur la crête du toit en hache de la tour Saint Romain. Bientôt, tout est en feu. Vers 19h25, les deux croix du sommet s’écartent lentement pour tomber et quelques minutes plus tard, le toit s’effondre avec fracas. Le feu se communique alors rapidement aux bâtiments de la cour d’Albane et à l’ancienne bibliothèque du Chapitre. A 23h30, le feu est maîtrisé mais la tour Saint Romain a perdu son toit, le beffroi n’existe plus et les cloches ont fondu. La Jeanne d’Arc à elle seule, pesait 20 000 kg.
Vers dix-neuf
heures, une fumée monta sur le toit en hache de la tour Saint-Romain. Quelques
secondes plus tard, la toiture de la tour était en feu. A dix-neuf heures
vingt-cinq, les deux croix du sommet s’écartèrent « avec une tragique
lenteur », sous les yeux d’une foule épouvantée. Une seconde plus tard,
elles tombaient dans le brasier. Puis la toiture toute entière flamba et
s’écroula, dans un fracas assourdissant, au milieu d’une gerbe d’étincelles.
Alors l’on vit, l’on entendit une chose extraordinaire. Les poutres enflammées
du beffroi de chêne, tombant une à une sur les cloches, les ébranlaient et en
tiraient des sons puissants et lugubres. Les cloches sonnaient leur propre
glas. Puis elles fondirent à la chaleur du brasier. [3]
Le 2 juin, les pompiers combattent toujours les incendies.
Vers 18h, les sirènes retentissent à nouveau et deux minutes après les bombes
recommencent à tomber. Cette fois-ci, c’est une vingtaine de bombardiers légers
opérant en piqué. Plusieurs pompiers, surpris en plein travail, sont touchés.
Rive gauche, les dévastations s’accumulent, les Abattoirs sont en ruine et la
gare Saint-Sever est en flammes.
Le 3 juin, l’alerte est donnée à 13h30. Les bombes sont
lâchées une heure après. Elles tombent dans le cimetière du Nord, rue Jeanne
d’Arc, à l’entrée de la rue saint Romain. La partie haute de la rue d’Amiens
est dévastée.
Le 4 juin, l’alerte est donnée à 15h ; à 15h30, les
bombes. Cette fois, c’est l’église Saint-Maclou qui est éventrée. Boulevard des
Belges, le bureau de la Poste et le pâté de maisons lui faisant face à l’angle de la rue de Crosne ne sont
plus qu’un enchevêtrement de poutres disloquées. A la fin de la Semaine Rouge, on dénombre environ 400 morts à
Rouen. Ce bilan est approximatif car on ignore le nombre exact de victimes
restées sous les décombres. Les corps retrouvés sont ensevelis sans pompe car
les églises ne sont plus à même de les recevoir. Les prêtres vont simplement
sur place pour une ultime bénédiction. Que reste-t-il de Rouen ? Des
bâtiments aveugles, des rues infranchissables, des murs qui croulent encore
dans les cendres brûlantes. La partie la plus vivante de la ville est
anéantie ; les quartiers les plus commerçants sont transformés en paysages
lunaires avec des entonnoirs.
Paysage d’apocalypse [1]
Ma mère me dit
« Où est ton frère ? », et je lui répondis que je n’en savais
rien. Je suis persuadé que s’il avait été tué, ça ne m’aurait rien fait, ce
n’est pas de la méchanceté, mais ça faisait partie des choses. Et quand on se
retrouve quelquefois aujourd’hui avec de vieux copains, on pense tous la même
chose : on vivait dans un champ de ruines, on vivait au jour le jour, on
ne se posait pas de questions. Jean, 9 ans. [2]
La Semaine Rouge, c’était terrible, quand ça tombait, on sentait comme un… comme un tremblement, moi ça me faisait peur. Quand vous êtes tout seul, vous n’avez que votre peau à sauver, mais quand vous avez des enfants… Moi, je ne pensais qu’à ça… Je me disais « Si je me trouve tuée, mes enfants… » Aujourd’hui, quand je vois ça à la télévision, je me dis « Tiens, ça me rappelle quelque chose », quand je vois les pauvres femmes courir avec leurs gosses, ça c’est terrible. Odette, 34 ans. [2]
[1] : Rouen sous l’occupation Patrick Coiffier
photos Bundesarchiv
[2] : Tous les témoignages sont extraits de Rouen,
mémoires 44. L’âge des témoins est celui qu’ils avaient en 1944.
[3] : Rouen dévasté André Maurois
Autres sources bibliographiques :
Rouen désolée R.G. Nobécourt
Rouen et sa région pendant la guerre 1939-1945 G.Pailhès
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