Aujourd’hui j’ai envie de vous parler d’un sujet qui
ne va pas me faire que des copains. Abordons cette affaire de la place de
cathédrale et de que l’on pourrait y trouver après les élections (enfin
patientez encore quelque années tout de même pour avoir le résultat du catalogue
programme).
Petit retour en arrière : depuis un peu plus de
trente ans, s’élève sur la place de la cathédrale un bâtiment que l’on doit à
l’architecte Dussaux dont la silhouette n’est pas si disgracieuse et n’offense
pas tant l’édifice gothique qu’il côtoie, si ce n’est qu’abandonné depuis plus
de dix ans, sans entretien, conçu dans un matériau qui a mal supporté les
outrages du temps, il est à présent dans un état de décrépitude avancé.
Pendant la campagne municipale de 2001, Pierre
Albertini fait de la réhabilitation de ce lieu un des fers de lance de sa
campagne et l’on peut lire dans ses 40 projets : Un concours d’architecture doit être lancé très rapidement pour
repenser les lieux, rénover les façades et mettre en valeur la cathédrale.
L’idée
d’un concours d’architecture était tout à fait intéressante, permettant à la
fois l’expression de différents talents et pourquoi pas, il est permis de
rêver, l’occasion de tenir de grands débats publics à cette occasion.
En fait
et place d’un concours d’architecture, la ville laissera au promoteur acquéreur
du bâtiment, l’entière liberté du choix de l’architecte. Ce sera donc Jean-Paul
Viguier car l’homme a ses entrées à la Commission Nationale
Supérieure des Monuments Historiques, étape incontournable dans le parcours
d’obstacles que représente la construction d’une architecture contemporaine en
secteur sauvegardé.
Lors
d’une seule réunion publique, Jean-Paul Viguier présentera un premier projet, un
vrai foutage de gueule assez sommaire dans son approche du contexte dans
lequel il devait insérer sa construction. Je n’ai pas trouvé trace de ce
premier projet dont l’auteur lui-même reconnaît la médiocrité : C’est une synthèse entre ce qui obsède les
Rouennais, le pan de bois et l’admiration que je porte à Marcel Lods. […] Une
version largement rejetée par les Rouennais qui n’ont pas la même image de Lods
que moi. […] Les Rouennais souhaitent plutôt, au rez-de-chaussée, un café
Flaubert, comme il y a un café Mozart à Vienne.
Et voici
l’analyse d’un monsieur, Félix Pheillon, dont je ne saurai que trop vous
recommander la lecture attentive de ses billets que je guette et dévore
avec délices dans Rouen chronicle : Jean-Paul Viguier est un habile artisan qui
sait monter ses dossiers ; c’est le spécialiste de la construction en secteur
patrimonial, à ce titre il œuvre dans le moderne consensuel, flairant ce qui ne
déplaira pas. A Prague, Séville, Nîmes ou Reims, sans plus de personnalité, il
se coule dans le moule qui rallie les goûts du meunier, du fils et de l’âne.
Comme
tel, il a vite saisi ici le climat. C’est acquis : ce que Dussaux fit en
béton, il le fera en verre, tout en planchant sur des contraintes qui rendent
impossible un projet novateur : un bâtiment composé de logements, de
commerces, de salles de réunion, d’une mise en valeur de la façade Romé, d’un
passage entre les rues des Carmes et St-Romain, et d’un coût qui ne saurait
dépasser… etc. Tout ça sous l’œil d’investisseurs sans état d’âme, d’une
municipalité impuissante mais déterminée, et d’une opinion publique vindicative
mais sans véritable avis.
Jugement sévère mais tellement juste ! Il y eu
moult péripéties durant ce mandat, le projet fut vivement contesté par
l’opposition socialiste, le dessin fut remanié, mais au final cela donne
l’illustration que vous pouvez voir.
Bon, ça
c’est l’hypothèse de droite. Passons à l’hypothèse de gauche. En juin 2006,
Valérie Fourneyron s’exprime sur le sujet et ce qu’elle en dit va plutôt dans
le bon sens : Il faudrait commencer par négocier avec le
propriétaire actuel du Palais des Congrès pour que la ville récupère le
bâtiment puis arrêter un cahier des charges précis, qui comprendrait la mise en
valeur de l’Hôtel Romé, la possibilité d’un volume moins important et une
circulation plus lisible entre la rue Saint-Romain et la rue du Gros-Horloge
afin de lancer un concours d’architecte digne de ce nom où l’on ferait jouer la
concurrence. Bref que la ville impose sa vision, plutôt que les promoteurs leur
souci de rentabilité.
Las !
A-t-elle trop écouté les sirènes pleurnichardes du jardin à tout prix ?
Certes, il y a un manque d’espaces verts dans la ville mais le petit jardin de
la cour d’Albane pourrait très bien remplir cet office et cesser d’être un
ignoble parking à proximité de la cathédrale. Parce qu’on ne peut pas se
targuer d’être à la fois une des villes françaises qui a gardé un parcellaire
médiéval d’une surface importante, et ce malgré les balafres de la seconde
guerre mondiale, et vouloir bouleverser cet ordre urbain avec comme raison
principale, le refus de la confrontation entre l’architecture contemporaine et
l’architecture gothique. Regardez à quoi ressemblait cette place à la Renaissance dans le
livre des Fontaines. Elle a toujours été bâtie.
Et je
regrette le choix de la candidate socialiste de remplacer le palais des congrès
par un jardin. Voici encore une fois, ce qu’en dit dans sa grande sagesse
attristée Félix Pheillon :
Car ce qui prévaut aujourd’hui, du côté des
« contre », c’est surtout la non-construction. L’espace vide,
l’espace vert. Le rien plutôt que quelque chose, bref le non-choix et
l’avantageuse posture du sans souci donneur de leçon.
Et d’en conclure amèrement :
Au final, d’un côté, comme de
l’autre, ce sont les manques de réflexion et d’audace qui président à ce qui se
fera là.
A Rouen
aurions toujours peur de notre ombre ?
Ce qui a
été fait ici en matière d’architecture ces dernières décennies indique le
chemin qui sera suivi. Ce n’est pas un choix, c’est de l’ordre de la
malédiction. Tout ce qui se fait se place sous
le signe de l’atonie et de l’indifférence, attitude autant célébrée que
revendiquée par des Rouennais satisfaits de leur isolement raisonneur.
Hélas, j’ai bien
peur qu’il ait mille fois raison… Et pourtant je veux encore croire que cette ville
figée existe surtout par la persistance d’un grand nombre de lobbies et que si nos édiles étaient capables de briser cet
isolement en allant regarder ailleurs avec curiosité, intérêt et imagination ce
qui s’y passe, s’ils étaient assez courageux pour oser déranger quelques
vieilles badernes établies dans leurs certitudes et leurs rites sociaux, s’ils
étaient suffisamment inspirés pour ressentir le génie de ces lieux…
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