Je reprends un article paru dans Le Monde du 21 juillet
écrit par Grégory Kapustin. La génération dont il parle n’est pas la mienne,
plutôt celle des 20-35 ans. Une réflexion tout à fait intéressante sur ce qu’est
la conscience politique de ces jeunes gens et qui à mon sens explique aussi le
succès des valeurs centristes et du Mouvement Démocrate auprès de cette classe d’âge. Si l’on est né avant
70, on n’a pas forcément toujours connaissance de ce qui y est décrit, surtout
si on n’a pas été « formé » par ses propres enfants. Alors, pour vous
faciliter la lecture, j’ai rajouté un certain noombre de liens utiles.
Nous sommes la génération "Révolte consommée" :
chaque mouvement de contre-culture est tellement vite répandu - merci Internet
- qu'il est aussitôt récupéré par le branding, ce super-marketing décrit par Naomi Klein. Le festival Rue ! au Grand Palais était symbolique : un ministre
de droite qui invite les graffiteurs à bomber bien dans les lignes dans un
édifice historique, ça brouille les pistes. Pire : une enseigne de grands
magasins qui imite le style "barbouilleurs de pubs", une autre, les
affiches de Mai 68, c'est difficile à avaler.
Le marginalisme vestimentaire est aussi devenu impossible
; les "lascars" sont en Lacoste et les "bab's" en Benetton.
Mais notre grand trait de caractère générationnel est qu'idéologiquement c'est
comme pour les habits : difficile de lutter contre le
"merchandising". Surtout quand la "tyrannie du cool" est
dictée par nous-mêmes : difficile d'être jeune quand c'est à la mode de l'être.
L'oeuvre phare de notre génération est Fight Club, film culte ; pour s'opposer aux marques et à la triste ligne
droite d'une vie rangée, Jack se crée un double aussi gay qu'hétérosexuel,
aussi leader qu'anarchiste, qui mettra son appartement Ikea en feu et dirigera
un groupuscule terroriste aussi violent qu'absurde. Pas d'opposition à l'ordre
du monde, donc, sans une violente schizophrénie, la lutte, le combat à mort, le
terrorisme et le suicide.
Pour couronner le tout, cette base de l'underground qu'est
Fight Club est produit par la 20th Century Fox... Voyez notre souci. Pour notre génération, finie
L'Internationale, finis les Béruriers Noirs, place à Radiohead, Noir Désir et Sinik, beaucoup plus complexes et psychodramatiques.
La lutte simple et la marginalité étant récupérées et
devenant tendance, Baudrillard est dépassé. L'heure est à Chomsky et son réseau Web Znet : "A community of people committed to social change."
L'heure est, plus proches de nous, et plus "fins", à Naomi Klein, à Joseph Heath et Andrew Potter, qui dans Révolte consommée : le mythe de la
contre-culture (éd. Naïve, 2005), élèvent au point d'orgue notre
problématique.
L'heure n'est plus à Sartre, Marat, elle est au
développement durable ; elle n'est plus aux révolutionnaires de gauche à barbe
et pavés, elle est au "cool" étudiant d'école de commerce qui fait de
l'écomarketing. Notre génération est centriste. Peace & love, c'est bien, mais
nous ne pouvons pas nous permettre de tels simplismes, nous sommes
"pragmatiques".
Le fait est que l'altermondialisme, c'est vraiment
compliqué. Finie l'opposition frontale entre communistes et capitalistes, le
libéralisme a gagné. Et il n'est même plus amoral ; Nike a eu son procès, Noël
Forgeard aura le sien. Le communisme étant balayé, le capitalisme moralisé et
écolabellisé, il devient difficile de se battre contre le libéralisme ;
difficile de se battre contre la liberté et la responsabilité individuelle.
Nicolas Sarkozy est symptomatique de notre génération :
alors que la jeunesse s'attendait à pouvoir s'opposer frontalement à un
président de droite aux relents xénophobes, dans la lignée des récentes
élections hollandaise et autrichienne, elle se retrouve coincée en pleine
ouverture décomplexée.
Et tout cela avec l'aide du salvateur Internet : "Tu
veux te rebeller ? Ouvre un blog." Cette rébellion finira en SkyBlog,
et Skyrock, poli sous tous rapports, réunira ces embryons de révolte, s'en fera
le porte-voix avec Diam's au PS et Joey Starr chez Ardisson. C'est un peu mou.
Et pour goupiller le tout, aucun leader de gauche n'est là pour récupérer tout
ça - cause ou conséquence, allez savoir. Finis les fanzines, adieu le Grand
Soir, bonjour le quart d'heure de gloire et range ta chambre...
Notre génération ne sait plus à quelle inégalité se vouer,
quel peuple sauver, quel fautif accuser, et sa crise manque de cibles. Un ami
sarkozyste me rétorquait récemment : "Tu veux aider les mecs de
banlieue, les pays du Sud ? Ouvre-leur les bras, et, avec ta gueule de p'tit
Blanc, ils te piqueront ta montre." Triste, mais difficilement
parable.
La
Chine
sort du trou, avec elle 1 milliard de pauvres, et les pays d'Amérique latine ne
sont pas non plus l'objet de compassion privilégiée depuis que le groupe des
pays du Sud, dit G77, se crée avec une animosité - bien compréhensible - envers
la condescendance du Nord ; depuis aussi que Lula et Chavez déçoivent par leur
agressivité, Ravalomanana par ses illuminations.
Une bonne partie de notre génération n'a pas plaint les
Etats-Unis en 2001, qui ont eu un peu de ce qu'ils méritaient. Mais comment ne
pas dénoncer le terrorisme sur les civils ? Et la charia ? Même cul-de-sac
idéologique lors de la lutte contre le contrat première embauche (CPE) et les
émeutes de 2005 ; la compassion pour les classes les plus défavorisées de notre
génération est bien présente, mais sa théorie est bien vite mise à mal par la
violence aveugle des "lascars", par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité,
la discrimination positive, et même par ceux qui s'en sortent.
Alors, notre génération est "modérée". Et ce
doit bien être la première ! Des jeunes "modérés" qui luttent pour
des alternatives modérées qui ne combattent pas le "système", mais
s'y intègrent : le développement durable, le commerce équitable, le logiciel
libre... Une génération qui s'excuse presque de lancer des pavés. Une
génération où c'est "cool" d'être raisonnable.
Rien de bien grave, c'est même bien. Mais la refonte de la
gauche risque d'être bien molle.
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