C’est toujours un plaisir de
participer aux entretiens auxquels nous convie Jacques Rosselin de Vendredi. Parce
que c’est une bonne occasion de retrouver des copains blogueurs, mais surtout parce
que c’est la possibilité d’interroger des politiques. Mercredi dernier, c’est Jean-Luc Mélenchon qui acceptait
de nous rencontrer. Et qui nous a consacré du temps, près de deux heures
trente. Ce fut un régal d’entendre s’exprimer sans détours un homme d’esprit,
notre blogueur politique préféré puisque nous lui avons décerné le Nicolas
d’or en 2009.
Photo Richard Trois
Il s’en est dit des choses pendant cet
entretien. J’ai choisi de sélectionner un passage qui m’a particulièrement
intéressée car il y est question d’écologie politique. Vous pouvez, si vous le
souhaitez, écouter l’intégralité de l’enregistrement grâce à Seb Musset.
Ma question : comment
concilie-t-on au Front de Gauche l’alliance avec le PC, et plus
particulièrement certains communistes adeptes du productivisme ? C’est le
cas dans ma région, où le Front de Gauche présente comme tête de liste le maire
de Dieppe, qui est un
adepte du nucléaire, qui souhaite implanter une
usine de nitrates au cœur de sa ville…
La réponse sera longue. Après un certain nombre de considérations sur
l’évolution du PS, après des digressions dues aux interventions de Dedalus qui l’agacent profondément, après
avoir raconté ce qui l’a amené à sortir du PS et à fonder le Parti de Gauche,
voici quelques morceaux choisis :
La question du productivisme,
c’est une question qui n’est pas pensée à gauche. Ce n’est pas parce que les Verts le pensent, l’ont pensé et ont produit beaucoup de choses
sur le sujet, que pour autant c’est quelque chose qui est compris. Même au
Parti Socialiste, d’abord quand j’y siégeais ce n’était pas ma première
préoccupation, honnêtement. Bon, une chose en entraîne une autre, j’ai commencé
à réfléchir au problème différemment, par mes propres… Donc clairement le productivisme,
c’est un concept qui n’est pas bien compris au parti Communiste. Et je pense que c’est très divers entre eux
mais que globalement Ils ont les mêmes réflexes que ceux que moi je pouvais
avoir il y a cinq, six ans. Par exemple sur le nucléaire c’est une vision
acritique. Je pense moi qu’ils vivent dans une illusion, que la plupart des
arguments qu’ils mettent en avant à propos du nucléaire ne sont pas fondés.
Bon, aujourd’hui le nucléaire nous rend indépendants, ce n’est pas vrai. Le
nucléaire est sûr… Jusqu’au moment où il l’est plus, donc on ne peut pas
appeler ça sûr. Après, il y a des pans entiers du non-dit qui pourtant
intéressent les communistes : la défense nationale, ça existe. Bon eh bien
comme est organisée le parc des centrales nucléaires dans ce pays, notre vulnérabilité,
elle est considérable !
Donc il y a plein de discussions à avoir, mais honnêtement ce n’est pas
une discussion qu’avec eux, c’est une discussion dans toute la gauche. Plein,
des milliers de réflexes que nous avons tous, des manières de penser que nous avons
de… Par exemple l’autre jour, j’écris un truc sur les retraites et puis au bout
d’un moment, je m’aperçois que je n’arrêtais pas de parler de croissance… Et je
me dis : « Mais qu’est-ce que je suis en train de faire là ? ».
Bon alors après c’est un peu comme vous là, je me dis : « Merde, je
vais faire des nuances ». Je commence à mettre des phrases partout, on ne
comprenait plus rien, donc j’ai enlevé mais je me dis : « Bon va
falloir que je revienne sur le sujet, que je mette c’est une croissance sélective,
tout ne doit pas croître, etc. » parce que je parlais des retraites.
Donc je pense qu’on a une
révolution culturelle très profonde à faire. Mais nous aussi, quand on a commencé le parti de Gauche, je savais
qu’il fallait tout de suite tourner là-dessus. Tout de suite, fallait dire, le
cadre est changé, le cadre est changé. Dans les quatre premiers points du
programme du parti, il y a la planification écologique. Doubles hurlements,
écologique pour les uns, planification pour les autres. Pour être honnête, mon
point d’entrée a plutôt été idéologique, philosophique. L’écologie politique refonde l’intérêt général humain. Donc à
partir de là, tout le reste vient. S’il y a un intérêt général humain, comment
pouvons-nous connaître la délibération collective, ce qui est bon pour tous,
etc. (…)
Suit un passage où Jean-Luc Mélenchon
déroule le cheminement qui l’a amené jeune homme vers le marxisme.
Là c’est pareil pour ma manière d’entrer dans l’écologie politique, je
voyais bien que ce qu’ils disaient était juste. Le pire coup que je me suis pris c’est sur le nucléaire. Parce
que quand j’ai été élu sénateur, on me saoulait avec la centrale de Nogent.
Dans mon coin il y avait des gens qui étaient contre la centrale de Nogent. Moi, j’étais béton et électricité. Mais
quand même, la dignité de parlementaire, je commence à poser des questions
écrites. Et alors là, la surprise. On me répétait tout le temps la même chose, on
comparait, c’étaient les mêmes réponses faites à d’autres, au mot près. Je vais
voir la centrale et la visite de la centrale a fini par me foutre les jetons.
Là je me suis dit : « Mais ça va pas là, qu’est-ce que je suis en
train de faire, de raconter des histoires aux gens, le nucléaire est sûr,
indépendant, ce n’est pas vrai ! » La centrale de Nogent subit à intervalles
réguliers des attaques des lapins. Je ne vais pas vous parler de la centrale de
Nogent mais je vous jure qu’il y a de quoi avoir peur. A partir de là je me
suis dit : » Mon gars, les certitudes c’est fini, il faut regarder. »
Après on a eu au Sénat les débats sur l’enfouissement des déchets. Je ne peux
pas dire, je n’y étais pas, je n’ai pas entendu. J’ai entendu des gens
dire : « Il n’y a qu’à foutre tout ça dans la mer. » Mais ce
n’est pas possible, comment ils peuvent dire un truc pareil ! Donc cela montrait
qu’il y avait une perception du risque qui n’était pas la bonne. Donc, ça c’est
pour vous répondre.
C’est une grosse affaire de la révision générale de l’idée qu’on se
fait, et moi elle m’intéresse parce qu’elle
a une dimension de révolution culturelle qui est indissociable de l’idée socialiste
et républicaine. C'est-à-dire qu’on ne peut pas faire une révolution
républicaine et socialiste dans ce pays s’il n’y a pas en même temps une
révolution culturelle. Moi je ne suis pas d’accord pour recommencer quand
j’avais 20 ans à dire : « Avec les capitalistes, une Mercédès pour
quelques uns, une 2CV pour tous les autres, pour nous ce sera une Mercedes pour
tout le monde ! » Non, non, faut produire français ; je ne sais
pas quelle était la bagnole de l’époque… Cela ne peut pas être ça. Cela ne peut
pas être : « Le socialisme a comme projet d’étendre ce que pratique
une petite poignée d’élite riche à toute la population. » Cela a ne peut
pas être ça. Et faut dire aux gens, « Non ce n’est pas ça qu’on fera, non,
tu n’auras pas un yacht ! » (…)
Cette dimension de révolution culturelle, elle nous ramène aussi à des fondamentaux
du socialisme et de l’esprit républicain. Parce que quand vous lisez tous les
premiers républicains, leur problème c’est ça. Comment faire une république
avec des ignorants, des gens en proie à des préjugés, à des dominations
culturelles qu’ils ne maîtrisent pas et ainsi de suite. Donc vraiment
l’écologie politique a fourni un moteur, clefs en main, pour faire repartir l’idéal socialiste et
républicain pour moi. (…)
La fin en soi, c’est la
refondation de la gauche. Est-ce
que le peuple français peut à nouveau apporter une contribution à l’histoire
universelle ? (…) On a une capacité absolument extraordinaire, on a un
peuple qui a un haut niveau d’éducation, on a des infrastructures, on peut
faire beaucoup de choses. C’est cela le but de l’affaire.
Toute cette partie de l’entretien là :
M3.mp3 (Objet audio mpeg)
Dernier billet : http://www.jean-luc-melenchon.fr/2010/02/la-drole-daffaire-freche/
A lire chez les copains blogueurs :
Dedalus : Jean-Luc
Mélenchon, un socialiste en colère
Richard Trois : Jean-Luc
Mélenchon : « Moi j’ai choisi ma tête à claques, c’est
Frêche ! »
Vogelsong : Un
républicain à l’assaut des médias, J.L. Mélenchon
Billets à venir chez Seb Musset, Reversus et Ronald
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