Soldats allemands en
bord de Seine [1]
La vie s’organise sous
l’occupation, les Allemands puisent dans les ressources du pays et les
habitants manquent de tout.
Il n’y avait pas beaucoup de trams. Ils étaient pris d’assaut et bien
souvent on allait travailler à pied. Il m’arrivait d’y aller à vélo, mais ce
n’était pas toujours facile parce qu’on ne pouvait pas traverser le pont sur
nos vélos. Ginette, 17 ans. [2]
D’abord il fallait s’inscrire chez les commerçants : épicier,
boucher, crémier, qui dispensaient leur maigre approvisionnement contre des
tickets. Puis alors les clients faisaient, bien sûr, la queue pour avoir ça. Je
sais que ma mère passait sa vie à courir partout pour trouver de quoi manger,
elle allait par-ci, par-là. Moi, je l’aidais, j’y allais de bonne heure et elle
me reprenait, des choses comme ça. Pour tout ! Le dimanche matin, c’était
la queue chez le pâtissier pour avoir de la pâtisserie sans tickets, de la
pâtisserie si on veut, enfin ça changeait un petit peu. Quant à moi, j’étais
catalogué J3, avec un petit supplément de sucre et de lait, c’était toujours ça
de plus…Le plus difficile, ce n’était pas tellement d’avoir des tickets,
c’était de trouver ce qui avait à voir avec les tickets. André,
13 ans. [2]
File d’attente
devant le magasin les Coopérateurs, place Cauchoise [1]
L’hiver 41 est particulièrement
froid. Sous la poussée des glaces, les deux ponts de bateaux rompent leurs
amarres. En 42, l’hiver est encore plus rigoureux. La température baissera
jusqu’à moins 20 degrés.
En janvier 41, le pont de bateaux a été emporté par les glaces. Il
faisait un hiver très froid et les glaçons que charriait la Seine ont emporté le pont
qui était formé de péniches mises bout à bout et recouvertes d’une plate-forme.
Ce qui voulait dire d’ailleurs que, chaque fois que des bateaux voulaient
passer, il fallait couper le pont : les péniches du milieu se déplaçaient
et les gens attendaient, parfois très longtemps. Alors le soir – ça a duré
jusqu’en janvier 41 – pour rentrer chez soi, il fallait avoir sa petite lampe
de poche, on n’y voyait rien, c’était le black-out, le noir complet, à cause
des bombardements possibles. Janine, 16 ans. [2]
J’ai eu faim, mais je crois que ce dont j’ai souffert le plus, c’est le
froid. Avoir froid, c’est mon souvenir le plus pénible de toute la guerre,
avoir froid. Il y avait très peu de chauffage et puis on était mal habillés, on
allait à l’école en culotte courte avec une petite blouse, les galoches aux
pieds, on était très mal habillés et pour moi, c’est le souvenir le plus dur. Roland,
9 ans. [2]
Pour s’habiller, comme pour le
reste, on se débrouille, c’est le règne du système D.
Ma sœur se teignait les jambes, elle a fait ça tout le temps : elle
passait un produit sur ses jambes, pour faire la teinte des bas, et puis
derrière, il fallait faire la couture, avec un crayon, un crayon spécial pour faire croire qu’on avait des bas. Alice,
10 ans. [2]
Ce qui était extraordinaire, c’était que malgré les privations les
Françaises étaient très bien habillées, elles étaient restées élégantes. Moi, à
seize ans, j’étais intéressée par la mode. Je me souviens qu’en 43, c’était la
mode des jupes à bretelles, des jupes à fleurs à bretelles… Je voulais
absolument une jupe comme ça, et je l’ai eue. Nous avions déniché un coupon de
tissu… Janine, 16 ans. [2]
Et surtout, on ne jette
rien !
Pour les vêtements, nous conservions ce que nous avions avant, on l’usait
jusqu’à la corde, et comme beaucoup, nous avons utilisé les tenues militaires
de mon père : on les teignait et puis on se faisait, avec, des vestes et
des pardessus. Jean, 16 ans. [2]
J’avais récupéré dans la rue, au début de la guerre, des chaussures
abandonnées par un soldat anglais, ça traînait, je les ai réparées. C’était un
genre de pataugas, mais en cuir quand même, c’était de la bonne chaussure. J’ai
fait mes quatre ans d’occupation avec. Grâce à ce que j’avais mis dessous, je
ne les ai jamais usées. Je mettais des pneus dessous, fixés avec des grandes pointes
devant pour bien les rabattre dans l’autre sens et je peux dire que ça
tenait ! André, 28 ans. [2]
Au milieu de tout ça, les gosses
restent des gosses.
On nous donnait des biscuits vitaminés et puis des petits granulés roses,
c’était de la vitamine, moi je me faisais du rouge à lèvres avec.
Françoise, 10 ans. [2]
Mon cousin m’emmenait avec lui pour jouer avec ses copains place de la Petite Porte. Il y avait là des
abris et, en plein jeu, n’importe quand, n’importe comment, il me tirait en
hurlant « Vite, vite, à l’abri, les avions, la sirène ! » tout
ça c’était bizarre, très bizarre… Nicole, 4 ans. [2]
Les arbres de Noël se passaient sans jouets, sans rien. Bon, c’était
Noël, mes parents essayaient quand même de faire quelque chose, mais des jouets
on n’en avait pas, on faisait ses jouets, nous faisions nos jouets nous-mêmes.
Je me souviens, je faisais du traîneau : le traîneau, c’était une planche
de bois sur laquelle on s’asseyait, avec une petite barre à l’avant pour faire
la direction, et des roulements à billes à l’arrière. Et puis on jouait comme
ça, on jouait au cerceau, on jouait aux osselets… Claude,
10 ans [2]
Et la jeunesse s’organise,
malgré tout, pour se distraire.
Dans ce temps là, si on voulait danser, il fallait s’inscrire à un cours
de danse. A Rouen, il y avait Rossi, là où il y a la Walsheim maintenant, ça s’appelait La Pipe , c’étaient
des professeurs de danse. Mais tout en étant professeurs de danse, ils
faisaient des bals. Ils n’avaient pas le droit, mais ils le faisaient, alors on
allait danser chez eux. Nous allions aussi à Oissel : on prenait le
tramway jusqu’à Saint-Etienne-du-Rouvray, et puis on allait à pied à Oissel. Pareil
pour revenir. (…) Pour savoir quand il y avait un bal, ça se disait de bouche à
oreille. Les organisateurs nous disaient aussi quelquefois : « le
prochain, c’est telle date », mais il n’y avait pas de voie d’affichage. André,
28 ans. [2]
Enfin, nous les jeunes, nous avions quand même envie de nous amuser,
alors on organisait des bals. Je me souviens qu’un copain s’était trouvé une
pièce à Darnétal, un peu camouflée et nous allions danser. Mais alors, on
devait être très camouflé : il ne fallait pas qu’il y ait de lueurs, pas
trop de bruit et puis on dansait, ça nous paraissait merveilleux, surtout parce
que c’était clandestin ! Edith, 19 ans. [2]
[1] : Rouen
sous l’occupation Patrick Coiffier photos Bundesarchiv
[2] : Tous les témoignages
sont extraits de Rouen, mémoires 44.
L’âge des témoins est celui qu’ils avaient en 1944.
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